Dans le jardin de la bête
c’est-à-dire si lui ou quiconque au Département croyait que j’ai nui en quelque façon à notre cause ».
S’il s’attendait à voir Phillips prendre sa défense, il se trompait.
Phillips et d’autres hauts fonctionnaires du Département d’État, dont Moffat, chef des Affaires de l’Europe occidentale, devenaient de plus en plus mal disposés à l’égard de l’ambassadeur. Ces diplomates de haut rang, membres du « bon petit club » vanté par Hugh Wilson, s’emparèrent du discours de Dodd comme une preuve supplémentaire qu’il était le mauvais choix pour ce poste. Moffat, dans son journal, comparait le numéro de Dodd à un « maître d’école faisant des remontrances à ses élèves 19 ». Phillips, passé maître dans l’art des bruits de couloir, se délectait de l’embarras de Dodd. Après avoir conservé le silence malgré plusieurs courriers de Dodd, dans lesquels l’ambassadeur demandait s’il devait, d’après lui, accepter de prononcer d’autres discours, Phillips finit par répondre, avec ses excuses, expliquant : « Je doutais qu’une missive de ma part 20 puisse être de quelque secours ou conseil pour vous qui vivez dans un monde tellement différent de celui de la plupart des ambassadeurs. »
Même s’il félicitait Dodd pour « l’art élevé » dont il faisait preuve pour élaborer un discours lui permettant d’exprimer le fond de sa pensée sans offenser ses interlocuteurs, Phillips lui adressa un reproche voilé : « En bref, mon sentiment est qu’un ambassadeur, qui est un hôte privilégié du pays dans lequel il est accrédité, devrait veiller à ne rien déclarer publiquement qui puisse passer pour une critique de son pays d’accueil, parce que, ce faisant, il perd ipso facto la confiance des hauts responsables dont la bonne volonté est tellement essentielle au succès de sa mission. »
Dodd ne semblait pas s’en rendre compte, mais plusieurs membres du « bon petit club » avaient commencé à intensifier leur campagne contre lui, dans le but ultime de l’expulser de leurs rangs. En octobre, son vieil ami le colonel House lui envoya un avertissement discret. D’abord il annonça la bonne nouvelle : House venait de voir Roosevelt. « C’était merveilleux d’entendre le président 21 dire qu’il éprouvait une satisfaction sans bornes pour le travail que vous accomplissez à Berlin. »
Mais House s’était ensuite rendu au Département d’État : « Dans la plus stricte confidence, ils n’expriment pas le même enthousiasme à votre endroit que le président, poursuivait-il. J’ai réclamé des éléments concrets, et tout ce que j’ai pu obtenir, c’est que vous ne les avez pas tenus bien informés. Je vous dis cela afin de vous guider dans l’avenir. »
Le samedi 14 octobre, deux jours après la célébration de Columbus Day, Dodd était au milieu d’un dîner en l’honneur des attachés militaire et naval quand il reçut une nouvelle surprenante. Hitler venait d’annoncer sa décision : l’Allemagne allait se retirer de la Société des Nations et de la Conférence mondiale sur le désarmement qui se tenait à Genève, de façon intermittente, depuis février 1932.
Dodd alluma la radio et entendit immédiatement la voix rauque du chancelier, bien qu’il fût frappé par l’absence des forfanteries habituelles. Dodd écouta attentivement pendant que Hitler décrivait l’Allemagne comme une nation bien intentionnée, aspirant à la paix, dont le modeste désir d’égalité sur le plan de l’armement se heurtait à l’opposition des autres peuples. « Ce n’était pas l’allocution d’un penseur 22 , note Dodd dans son journal, mais d’un émotif clamant que l’Allemagne n’était en aucune façon responsable de la guerre mondiale et qu’elle était victime de méchants ennemis. »
C’était une évolution stupéfiante. D’un seul coup, Dodd se rendait compte que Hitler avait émasculé la Société des Nations et pratiquement invalidé le traité de Versailles, déclarant clairement son intention de réarmer l’Allemagne. Il annonçait aussi qu’il avait dissous le Reichstag et que de nouvelles élections auraient lieu le 12 novembre. Le vote serait également pour le public l’occasion de se prononcer sur sa politique étrangère par le truchement d’un référendum. Secrètement, Hitler donna aussi l’ordre au général Werner von Blomberg, son ministre de la
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