Dans le jardin de la bête
la peine de mort pour les cinq accusés. Mais il ne se déroulait pas comme Hitler l’avait espéré.
À présent, la comparution d’un « témoin » spécial était annoncée.
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L E PROBLÈME
DE G EORGE
D ans toute l’Allemagne, un vaste mouvement s’était amorcé, entraînant inexorablement le pays vers un lieu ténébreux qui ne correspondait pas aux souvenirs de l’ancienne Allemagne que Dodd avait connue pendant ses études. Tandis que l’automne avançait et que le Tiergarten se parait de couleurs vives, il se rendait compte à quel point il avait vu juste à Chicago, au printemps, quand il avait constaté que son tempérament ne convenait pas à la « haute diplomatie » : il était incapable de jouer les menteurs en se mettant à genoux. Il voulait influer sur le cours des événements : l’Allemagne devait prendre conscience des dangers de sa politique, et il souhaitait amener le gouvernement d’Hitler à adopter une voie plus humaine et plus rationnelle. Il s’apercevait vite, cependant, que ses moyens étaient limités. Particulièrement étrange à ses yeux était cette fixation des nazis sur la pureté raciale. Le projet d’un nouveau code pénal avait commencé à circuler, proposant d’en faire le pilier central du droit allemand. Le vice-consul américain de Leipzig, Henry Leverich, trouvant ce document extraordinaire, rédigea une analyse : « Pour la première fois, dans l’histoire 1 juridique allemande, un projet de loi contient des propositions précises en vue de protéger la race allemande contre ce qui est considéré comme une désintégration provoquée par un métissage avec du sang juif ou de couleur. » Si le code était institué – et il ne doutait pas qu’il le serait –, désormais « il serait considéré comme un crime pour un gentil, homme ou femme, d’épouser un Juif ou une Juive ou une personne de couleur ». Il nota aussi que le code tenait la protection de la famille comme primordiale et, de ce fait, rendait hors la loi l’avortement, exception faite des cas où un tribunal autoriserait la procédure, l’enfant à naître possédant un mélange de sang allemand et juif ou de couleur. « À en juger d’après les commentaires des journaux, précisait le vice-consul Leverich, cette partie du projet va presque certainement être inscrite dans la loi. »
Une autre loi nouvellement proposée retint particulièrement l’attention de Dodd, une loi « permettant d’éliminer les malades incurables » 2 , comme il le décrivit dans une note au Département d’État datée du 26 octobre 1933. Les patients gravement malades pouvaient demander à être euthanasiés, mais s’ils étaient incapables de le formuler eux-mêmes, leur famille pouvait le faire à leur place. Cette proposition, « s’ajoutant à la législation déjà promulguée concernant la stérilisation des personnes atteintes d’imbécillité héréditaire ou d’autres anomalies similaires, est conforme au but d’Hitler d’élever les critères physiques du peuple allemand, signalait Dodd. D’après la philosophie nazie, seuls les Allemands en bonne forme physique appartiennent au Troisième Reich, et ce sont eux qui sont censés avoir de grandes familles ».
Les agressions contre les Américains continuaient en dépit des protestations de l’ambassadeur, et les poursuites judiciaires semblaient pour le moins languissantes. Le 8 novembre, Dodd fut informé par le ministère des Affaires étrangères qu’aucune arrestation ne serait effectuée à la suite de l’agression dont le fils de H.V. Kaltenborn avait été victime, car le père « ne pouvait se rappeler ni le nom 3 du coupable ni le numéro de sa carte d’immatriculation au Parti, de sorte qu’aucun indice n’était utilisable dans le cadre de l’enquête ».
Peut-être en raison d’un sentiment croissant d’impuissance, Dodd modifia son angle d’attaque, passant du domaine des affaires internationales à un état des lieux dans sa propre ambassade. Il se trouva – lui, si parcimonieux, adepte de Jefferson – poussé de plus en plus à se focaliser sur les défaillances de son personnel et les dépenses excessives de la mission diplomatique.
Il intensifia sa campagne contre le coût des télégrammes et les dépêches trop longues et inutiles, qui étaient dus, selon lui, au fait d’avoir tant d’hommes fortunés dans la carrière. « Les diplomates aisés 4
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