Dans le jardin de la bête
avait publiquement reproché, lors d’une réception à l’ambassade, de faire des avances déplacées à une invitée.
La supposition de Dodd aurait indigné Messersmith, qui trouvait suffisamment pénible d’écouter les réflexions des fonctionnaires nazis sur l’origine juive supposée de tel ou tel. Le vendredi 27 octobre, Messersmith donna un déjeuner chez lui, au cours duquel il présenta Dodd à un certain nombre de nazis particulièrement enragés, afin d’ouvrir les yeux de l’ambassadeur sur le véritable caractère du Parti. Un nazi pondéré et intelligent, en apparence, exprima comme un fait avéré la croyance parmi les membres du Parti que le président Roosevelt et sa femme n’étaient entourés que de conseillers juifs. Messersmith confia le lendemain au sous-secrétaire Phillips : « Ils ont l’air de croire 11 que, parce que des Juifs occupent des fonctions officielles ou que des gens importants chez nous ont des amis juifs, notre politique serait dictée par les Juifs seuls et que, en particulier, le président et Mme Roosevelt fomentent une propagande anti-allemande sous l’influence d’amis et de conseillers juifs. » Messersmith signalait combien cela l’avait hérissé. « Je leur ai dit que ce n’était pas parce qu’un mouvement antisémite avait cours en Allemagne que les gens raisonnables et bien intentionnés aux États-Unis allaient renoncer à fréquenter des Juifs. Je leur ai dit que l’arrogance de certains dirigeants du Parti ici était leur pire défaut et que leur conviction de pouvoir imposer leurs idées au reste du monde était une de leurs plus grandes faiblesses. »
Il mentionnait cette façon de penser comme un exemple de la « mentalité extraordinaire » qui régnait en Allemagne. « Vous aurez du mal à croire que de telles idées ont cours parmi des gens de valeur au sein du gouvernement allemand, poursuit-il. Mais j’ai constaté qu’elles existent et j’ai saisi cette occasion pour affirmer dans les termes les plus clairs à quel point ils se trompaient et à quel point une telle arrogance leur causait du tort. »
Étant donné l’antipathie personnelle que Phillips nourrissait à l’égard des Juifs, il est tentant d’imaginer ce qu’il pensait réellement des remarques de Messersmith, mais les archives ne contiennent pas de traces de cet aspect de la question.
Ce que l’on sait, en revanche, c’est que, parmi les Américains qui entretenaient des penchants antisémites, il était courant de surnommer la présidence de Franklin Roosevelt « l’administration Rosenberg » 12 .
L’empressement de Dodd à penser que Messersmith était juif avait peu à voir avec son propre antisémitisme larvé, mais semblait plutôt être le symptôme de doutes plus profonds qu’il avait commencé à entretenir à l’égard du consul général. De plus en plus, il se demandait si celui-ci était totalement son allié.
Il ne mettait pas en cause la compétence de Messersmith ni sa courageuse éloquence quand des citoyens ou des intérêts américains étaient en jeu, et il reconnaissait que Messersmith disposait « de nombreuses sources d’information 13 qui me font défaut ». Mais dans deux lettres au sous-secrétaire Phillips, rédigées à deux jours d’intervalle, Dodd laissait entendre que Messersmith n’était plus indispensable à Berlin. « Je dois ajouter qu’il a travaillé 14 ici durant trois ou quatre ans au cours d’une période très excitante et troublée, remarque Dodd dans une de ses missives. Et je pense qu’il a acquis une sensibilité voire une ambition qui le rendent agité et mécontent. Mes paroles sont peut-être excessives, mais je ne le crois pas. »
Dodd apportait peu de preuves pour étayer son analyse. Il pointait un seul défaut évident : le penchant du consul général à rédiger des dépêches interminables sur tous les sujets, graves ou parfaitement terre à terre. Selon Dodd, les dépêches de Messersmith pourraient être réduites de moitié « sans le moindre préjudice » 15 , et il devrait être plus judicieux dans le choix de ses sujets. « Hitler ne peut pas oublier son chapeau dans une machine volante sans qu’il en fasse le récit. »
Cependant, ces dépêches étaient pour Dodd une cible commode qui symbolisait d’autres sources de mécontentement qu’il avait plus de mal à cerner. À la mi-novembre, son insatisfaction vis-à-vis de
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