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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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Martha pour que les choses restent légères et sans engagement. Elle continuait de fréquenter Armand Bérard de l’ambassade de France et sans doute Diels, et d’accepter de sortir avec de nouveaux prétendants éventuels, ce qui rendait Boris fou de jalousie. Il lui envoyait des avalanches de messages, des fleurs, des disques et lui téléphonait sans arrêt. « Je voulais l’aimer à la légère seulement  1 , écrit-elle dans un texte inédit. J’essayais de le traiter avec autant de désinvolture que mes autres amis. Je me forçais à lui être indifférente une semaine ; puis la suivante, je devenais stupidement jalouse. Je le négligeais, puis j’étais tout entière à lui. Cette contradiction était insupportable, cruelle et très pénible pour nous deux. »
    Martha entendait toujours considérer la révolution nazie sous son meilleur jour, mais Boris ne se faisait aucune illusion sur ce qui se produisait autour d’eux. Il cherchait toujours les motifs sous-jacents aux actions des dirigeants nazis et des divers personnages qui se rendaient à l’ambassade américaine, ce qui irritait Martha.
    « Tu vois toujours le mauvais côté des choses  2 , lui reprocha-t-elle avec colère. Tu devrais essayer de considérer ce qui est positif en Allemagne et chez nos visiteurs, pas toujours les soupçonner d’avoir des arrière-pensées. »
    Elle insinua que lui aussi, par moments, était coupable de cacher ses motivations. « Je pense que tu es jaloux d’Armand, dit-elle, ou de quiconque sort avec moi. » Le lendemain, elle reçut un paquet de Boris. À l’intérieur, elle trouva trois petits singes en céramique et une carte de visite sur laquelle il avait écrit : « Ne rien voir de mal, ne rien entendre de mal, ne rien dire de mal. » Il concluait par ces mots : « Je t’aime  3 . »
    Martha éclata de rire. À son tour, elle lui envoya une petite statuette de bonne sœur en bois sculpté avec un message qui lui assurait qu’elle se pliait aux ordres des singes.
    Derrière tout cela planait cette incertitude : où leur relation pouvait-elle les conduire ? « Je ne pouvais supporter de penser à l’avenir  4 , avec ou sans lui, écrit-elle. J’aimais ma famille, mon pays, et je ne voulais pas envisager l’éventualité de me séparer de l’un ou de l’autre. »
    Cette tension conduisit à des malentendus et du chagrin. Boris souffrait.
    « Martha ! écrivit-il  5  dans une lettre embrasée de souffrance. Je suis tellement triste que je ne puis trouver les mots justes pour tout ce qui s’est passé. Pardonne-moi si j’ai commis quelque chose de méchant ou de mal envers toi. Ce n’était pas mon intention ni mon désir. Je te comprends, mais pas complètement, et je ne sais pas comment me comporter. Que faire ?
    « Adieu, Martha, sois heureuse sans moi, et ne pense pas du mal de moi. »
    Ils se réconciliaient toujours. Chaque séparation semblait intensifier davantage leur attirance, mais aussi amplifiait les moments d’incompréhension et de colère – jusqu’à ce que, un dimanche après-midi de la fin novembre, leur relation subisse un changement concret. L’événement était gravé dans sa mémoire dans le moindre détail.
    Le jour était morose  6 , le ciel comme maculé de charbon de bois, l’air froid, mais pas suffisamment pour inciter Boris à relever la capote de sa Ford. Ils se mirent en route pour un petit restaurant agréable qu’ils appréciaient, installé dans un hangar à bateaux sur des pilotis au-dessus d’un lac dans la région du Wannsee. Une forêt de pins odorante enserrait le rivage.
    Ils trouvèrent le restaurant presque vide mais toujours charmant. Des tables de bois entouraient une petite piste de danse. Quand le gramophone ne jouait plus, on pouvait entendre le clapotis de l’eau qui venait lécher doucement les pilotis à l’extérieur.
    Martha commanda une soupe à l’oignon, de la salade et de la bière ; Boris opta pour la vodka, un chachlik et du hareng au vinaigre et aux oignons. Et encore de la vodka. Boris adorait manger, notait Martha, mais ne semblait jamais prendre du poids.
    Après le déjeuner, ils dansèrent. Boris faisait des progrès mais avait toujours tendance à traiter la danse et la marche comme des phénomènes interchangeables. À un moment donné, quand leurs corps se rapprochèrent, ils s’immobilisèrent, se souvint Martha ; elle se sentit envahie par une soudaine

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