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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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Mais on va trouver une solution. Les communistes ont l’habitude d’accomplir l’impossible. Mais tu dois m’aider. »
    Le soleil n’allait pas tarder à se coucher quand ils quittèrent le restaurant et reprirent le chemin de la ville, la capote de l’automobile toujours baissée. Cela avait été une journée importante. Martha s’en souvenait en détail : le vent arrivant à flots défit ses cheveux qu’elle portait en torsade sur la nuque, et comme Boris conduisait, son bras droit entourait l’épaule de Martha, sa main autour de son sein, comme c’était son habitude. Les forêts denses le long de la route s’obscurcissaient dans la lumière déclinante et exhalaient de riches senteurs d’automne. Ses cheveux flottaient derrière elle en vrilles d’or.
    Même si aucun n’en parlait directement, ils comprenaient qu’il s’était passé quelque chose de crucial. Elle était tombée profondément amoureuse de lui et ne pouvait plus le traiter comme ses autres conquêtes. Elle ne l’avait pas voulu, mais c’était arrivé, et tout le monde considérait que ce choix était extrêmement mal venu.

26
    L E  P ETIT B AL
DE LA PRESSE
    C haque année en novembre, l’Association de la presse étrangère à Berlin organisait un dîner et un bal à l’Hôtel Adlon, un événement prestigieux auquel étaient conviés les principaux hauts fonctionnaires, diplomates et personnalités de la ville. L’événement était surnommé le Petit Bal de la presse parce qu’il était de moindre envergure et beaucoup moins guindé que la réception annuelle donnée par la presse nationale allemande, qui était devenue encore plus formelle depuis que les journaux du pays étaient presque entièrement tombés sous la coupe de Joseph Goebbels et de son ministère à l’Éducation du peuple. Pour les correspondants étrangers, le Petit Bal de la presse était d’une utilité pratique immense. « Il est toujours plus facile de soutirer une information à quelqu’un  1  quand sa femme et lui sont vos invités et qu’ils dansent à votre bal, que si vous le voyez seulement pendant les heures de bureau », écrivait Sigrid Schultz. En 1933, le Petit Bal de la presse se tint le soir du vendredi 24 novembre, six jours avant que la communauté américaine de la ville fête Thanksgiving.
    Peu avant vingt heures, l’Adlon commença à accueillir une longue procession de grosses automobiles, dont beaucoup avaient des phares de la taille d’un demi-melon. En descendit un bataillon d’officiels nazis, ambassadeurs, artistes, réalisateurs, actrices, écrivains et, bien sûr, les correspondants étrangers eux-mêmes, de pays grands et petits, tous emmitouflés dans de gros manteaux et des fourrures contre l’air humide, presque glacial. Parmi les arrivants figuraient le secrétaire d’État Bülow, le ministre des Affaires étrangères von Neurath, l’ambassadeur de France François-Poncet, sir Eric Phipps, l’ambassadeur de Grande-Bretagne, et, bien sûr, le gigantesque et omniprésent Putzi Hanfstaengl. Vint aussi la chroniqueuse mondaine, Bella Fromm, travaillant pour « Tante Voss », pour qui le banquet serait marqué par la plus sombre tragédie, de celles qui devenaient de plus en plus courantes à Berlin, loin des regards. Les Dodd, au complet, vinrent dans leur vieille Chevrolet ; le vice-chancelier de Hitler, Franz von Pape, débarqua dans une automobile considérablement plus grosse et plus tape-à-l’œil et, comme Dodd, amenait sa femme, sa fille et son fils. Louis Adlon, rayonnant en smoking et queue-de-pie, saluait chaque arrivant prestigieux, tandis que les employés du vestiaire emportaient fourrures, manteaux et hauts-de-forme.
    Comme Dodd n’allait pas tarder à le découvrir, dans l’ambiance électrique de Berlin, où chaque action publique d’un diplomate acquérait un poids symbolique exorbitant, même une bribe d’un échange verbal au-dessus d’une table de banquet pouvait donner corps à une légende mineure.
     
    Les invités pénétrèrent dans l’hôtel, d’abord dans les salons élégants pour les cocktails et les hors-d’œuvre, puis dans le hall du jardin d’hiver, assombri par des milliers de chrysanthèmes poussés en serre. La salle était toujours « péniblement bondée »  2 , de l’avis de Schultz, mais la tradition voulait que le bal ait lieu au Adlon. La coutume exigeait également que les invités viennent en tenue de soirée mais « sans faire

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