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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Hatzfeld
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choisi la tache du Rwanda sur la carte d’Afrique, on s’éloigne en discussions qui s’entortillent et n’aboutissent jamais à des réponses concordantes.

Des vélos-taxis sous un acacia
    Une station-service, rendez-vous des réparateurs de pneus, signale l’entrée dans la grand-rue de Nyamata. Elle est plus rouge, beaucoup plus large que la piste qu’elle prolonge. Elle est pierreuse et cabossée sur une moitié, utilisée par les véhicules, sableuse sur l’autre moitié, réservée aux piétons. En face des pompes à essence, un terrain vague sert de gare routière aux minibus « Dubaï » et aux camions, le temps d’un arrêt pour charger passagers, chèvres et ballots.
    Au début de la grand-rue se succèdent la librairie religieuse, les ruines du Bugesera Club, l’antre de l’ancienne équipe de football, Chez Clémentine, le premier boui-boui où boire du vin de banane. Si on prend n’importe quelle ruelle vers la droite, on traverse des courettes et des bicoques envahies de gamins, et on débouche aussitôt dans les champs. Si on prend une rue à gauche, on tombe sur l’église pentecôtiste, dont les chorales en plein air, raffinées, exubérantes, parfois hystériques, sont d’étonnants moments de musique. Tout droit on arrive au centre-ville, place du marché.
    À Nyamata, la première villa à deux étages, projet d’un marchand du Burundi, n’a pas encore dépassé le niveau des fondations. Dans les rues, il ne roule plus qu’une auto particulière, une Suzuki blanche appartenant à un autre négociant. Les voitures qui encombraient jadis la bourgade, détruites, ou emportées dans l’exode, n’ont en effet pas été remplacées. Les quelques véhicules qui soulèvent la poussière dans la grand-rue sont des camionnettes de commerçants, réquisitionnées par ailleurs pour les convois des enterrements, des noces, des supporters sportifs, ainsi que les véhicules tout-terrain de l’administration et des organisations humanitaires. On circule donc dans des charrettes tirées par des bœufs attelés à l’aide d’insolites jougs d’aluminium, ou en moto monocylindre japonaise, et bien sûr le plus souvent à pied et à vélo.
    La principale station de vélos-taxis se trouve au coin du marché, où, à l’ombre d’un mimosa épanoui, une trentaine de cyclistes attendent la clientèle en écoutant la radio. À côté, une baraque sert d’atelier aux mécaniciens de vélos, souvent hauts comme trois pommes, qui réparent roues et pédaliers avec une dextérité de prestidigitateurs.
    Les vélos, noirs, sont majoritairement des Boda Boda à jantes larges et pneus boudins plus ou moins rainurés selon l’usure. Ils sont parfois équipés d’un amortisseur avant, toujours de freins à patins commandés par des leviers fixés au bas du cadre. Les confortables selles en cuir, montées sur trois énormes ressorts, permettent une suspension gyroscopique idéale pour amortir les trous des pistes. Les guidons sont munis de sonnettes philharmoniques, les rayons de catadioptes lumineux. Les chromes, les accessoires, eux, dépendent du modèle. Certains sont décorés de frises dorées, d’autres sont protégés par une ombrelle ou dotés d’un siège avant. Certains bénéficient d’un système antivol, d’un miroir de beauté ou d’un cadre à image pieuse. Les porte-bagages des vélos-taxis sont rembourrés d’un coussinet de cuir démontable afin de permettre, alternativement, le transport de clients ou de marchandises.
    Les autres stations-taxis se situent près de l’hôpital, à la foire aux vaches le mardi, au lycée de langue anglaise à l’heure des sorties. Le prix d’une course en ville varie entre trois et cinq francs. Le prix des trajets éloignés à travers bois se négocie à l’amiable.
    Les coursiers et les livreurs travaillent eux aussi à vélo. Messages ou sacs de farine, malles, meubles, chèvres, bidons de pétrole, tout s’achemine à vélo. À la tombée de la nuit, à l’heure de la Primus crépusculaire, des livreurs sillonnent les rues entre les entrepôts et les cabarets, emmenant sur leur porte-bagages, attachée grâce à un infaillible système de tendeurs, une superposition de casiers de bouteilles.
    Près de la grand-rue, dans des cours où fument des casseroles de foufou, deux salles signalées par des affiches proposent aux heures paires des séances vidéo sur des écrans grésillants. Les films de Jean-Paul Van Damme concurrencent les

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