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Dans le nu de la vie

Dans le nu de la vie

Titel: Dans le nu de la vie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Hatzfeld
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pourboires.
    Signe des temps ou du hasard, depuis l’évacuation des prêtres blancs qui servit de déclic aux massacres dans les églises, les muzungu ont presque disparu de la région. En kinyarwanda, le mot muzungu désigne le Blanc, notamment dans la bouche des gamins curieux, amusés et bienveillants lorsqu’ils le hèlent sur son passage. Mais linguistiquement, muzungu signifie « celui qui prend la place de ». À de rares exceptions près, les prêtres, les experts et logisticiens d’organisations internationales de Nyamata sont rwandais ou africains.
    À Nyamata, les fidèles ont rouvert la porte d’une vétuste église abandonnée pendant des lustres. C’est là que se rend désormais Édith Uwanyiligira – et ses pensionnaires, Florence la pâtissière, Gaspard le capitaine de l’équipe du Bugesera Football Club, Gorette la cuisinière… – à l’heure de la messe du dimanche matin et des vêpres, pour retrouver tous ses amis de prières et de cantiques.
    Édith est une mère de famille aussi joviale que pieuse. Son allégresse et sa gaieté ne peuvent plus être altérées (en public du moins) par aucun souci de la vie. Elle se consacre énormément à l’éducation de ses deux enfants. Son salon est en permanence peuplé d’ouailles ; ses chambres, de pensionnaires érudits ; sa cour, de voisines bavardes ou bigotes ; sa terrasse, de parents ; son jardin, de gamins chahuteurs du quartier. À la veille des premiers massacres, Édith s’était enfuie de chez elle pour une longue cavale à travers le pays dévasté, aux côtés de son mari Jean-de-Dieu, son garçon Bertrand dans les bras, un bébé dans le ventre, qui est devenu une espiègle Sandra.





Édith Uwanyiligira, 34 ans, enseignante et économe scolaire Nyamata Gatare
    Jadis, Papa était le sous-chef de la sous-chefferie de Kibwa, près de Ruhengeri. Il gagnait bien, il était bien considéré, il a été déchargé en famille, de nuit, dans la brousse de Nyamata. Les Tutsis ne cessaient d’arriver de Byumba, de Gikongoro, de partout, ils s’aidaient à décourager les lions et les éléphants, ils s’assemblaient sous des huttes de carton. C’est ainsi que je suis née sur la colline de N’tarama.
    Petite fille, je n’ai jamais connu de sécurité satisfaisante. Lorsque les inkotanyi du Burundi attaquaient le Rwanda, les militaires devaient tuer des Tutsis, en guise de châtiment. Comme le Bugesera est touchant du Burundi, ils en tuaient un nombre plus conséquent par ici. Les tués étaient peu après remplacés par des cultivateurs hutus. Mais, avec eux, on vivait à courte distance sans aucune anicroche. J’ai toujours eu des amis hutus de cœur dans notre secteur.
    La guerre civile s’est incrustée dans les collines en l’an 1991. Cette année-là, mon premier bébé n’a pas réussi à passer, et il est mort dans mon ventre parce que la route de l’hôpital était trop risquée. C’était le commencement d’années politiques très périlleuses, pendant lesquelles des hommes s’en sont donné à cœur joie.
    Quand l’avion du président a finalement chuté, trois ans plus tard, les radios nous ont décommandé de sortir. Sur le moment, on ne savait pas quoi penser de notre destin, mais les Hutus de notre région, eux aussi, hésitaient sur le nôtre ; ils attendaient comme nous. Puis on a entendu les bourgmestres, les policiers, les fonctionnaires communaux, qui sillonnaient les brousses pour encourager les villageois en criant cette variété d’ordres : « Qu’est-ce que vous attendez pour exterminer ces Tutsis comme à Kigali, ce sont des cancrelats ! », « Il n’y a plus de place pour les Tutsis, il faut les tuer comme vous pouvez », « Ce sont des vipères, c’est maintenant qu’il faut s’en débarrasser. Personne ne sera puni ! » En même temps, les interahamwe et les militaires de la caserne de Gako s’exerçaient à tuer les premiers lots de personnes, dans quelques domiciles marqués de peinture. Alors, cinq jours après, nos amis hutus ont retourné leur opinion contre les anciens amis tutsis.
    Moi, j’arrivais au terme d’une grossesse, je m’étais abritée chez notre voisin hutu, ami de tous les temps. Il m’a dit, un matin : « Édith, vous êtes un péché qui peut devenir mortel. Je ne veux pas mourir par votre faute. Partez immédiatement dans la brousse. » Alors, le 14 avril, avec mon mari, on est descendus vers la rivière Akanyaru ; on a offert une

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