Dans le nu de la vie
maison, prénommée Gloria, était tutsie. Le mari, Joseph, était un négociant hutu très gentil. Un jour du génocide, des interahamwe ont ouvert la porte du salon. Le mari était en voyage d’affaires au Kenya ; son frère n’a pas réussi à plaider pour la dame. Les interahamwe ont tué la famille sur les tapis. Moi, j’étais dissimulée à plat ventre dans une chambrette. Ils n’ont pas insisté pour la fouille, parce qu’ils souhaitaient simplement se débarrasser de la dame et de ses enfants en l’absence du mari, et ils s’en trouvaient satisfaits.
Une heure plus tard, des pilleurs sont entrés et m’ont surprise dans la maison. Ils se préparaient à me découper sur-le-champ, mais l’un d’eux, qui répondait au prénom de Callixte, m’a protégée de ses collègues. Il portait un fusil, il était le chef. Il m’a emmenée pour femme parce qu’il n’en avait plus.
Chez lui, j’entendais dire à travers les portes que les programmes des tueries étaient en bonne voie dans toutes les préfectures, et qu’il ne resterait plus un enfant tutsi debout à la saison sèche. Alors, je me disais que si Dieu m’autorisait à garder ma vie en cachette jusque-là, il ne fallait pas la gâcher. Raison pour laquelle, je n’ai jamais tenté la fuite au risque de mourir parmi les autres Tutsis.
J’ai vécu au logis de Callixte jusqu’à l’arrivée des inkotanyi, en juillet. Par la suite, il m’a emportée dans la fuite bouleversante vers le Congo, dont vous avez entendu beaucoup de nouvelles. Nous avons d’abord vécu à Gisenyi, sous la sauvegarde des militaires turquoises, chez une famille de Callixte. Puis nous avons voyagé vers le Congo. Nous avons passé un an et demi dans le camp de Mugunga. J’étais très embrouillée par trop de macabres rumeurs, et je pensais que ma vie allait désormais être de ne rien attendre. On habitait sous une tente. Je faisais l’épouse pour Callixte, qui n’était jamais méchant avec moi. Les cohabitants du camp savaient que j’étais tutsie. Ils n’osaient rien dire devant Callixte, car il était un interahamwe de grande importance, mais quand il partait en tournée de réunions, j’entendais fuser d’inquiétantes médisances. Un jour de novembre 1996, je me suis approchée d’un rassemblement de camions blancs d’une organisation humanitaire. Des Blancs disaient que ceux qui voulaient rentrer au Rwanda n’avaient qu’à monter, sans rien payer. Callixte était parti en expédition, j’ai grimpé dans la benne en grande compagnie. Le véhicule a roulé jusqu’à la frontière. De nouveaux camions blancs nous attendaient derrière les barrières et j’ai ainsi rebroussé route jusqu’à Nyamata.
Je suis retournée sur notre parcelle familiale de Kanazi. La maison avait été brûlée. Des voisins m’ont expliqué que, de ma famille, il ne restait plus une seule personne. J’ai appris par des ouï-dire que papa était mort près de la maison. Maman était morte d’un jet de lance sur un chemin d’escapade vers le Burundi, j’ai retrouvé deux sœurs mortes dans des champs. Quant aux autres, je n’ai reçu aucune précision sur comment ils ont été tués.
Je ne savais rien faire sauf l’agriculture, mais la terre était devenue trop opiniâtre pendant mon absence. Je me suis sentie trop frêle et trop faible pour planter les haricots. J’étais plus que découragée. J’entendais des cancans dans mon dos relatifs à mon voyage au Congo, je ne savais de quel côté demander une petite assistance ; c’est pourquoi je me suis déplacée vers Nyamata, chez une connaissance.
Un jour, j’ai entendu dire que les pluies allaient emporter les ossements de ceux qui avaient été enterrés près de l’église par les Caterpillar. Je me suis associée à une équipe pour sortir les ossements du trou, et les ranger. Je cherchais une petite compagnie, je voulais me montrer présentable aux yeux des autres. Des habitants compréhensifs ont apporté des sacs de ciment et on a façonné le Mémorial. Maintenant, j’essaie de faire aide-maçon à droite à gauche. Quand je gagne des petits sous, j’achète des patates et du sorgho, et le bonheur revient pendant un moment. Sinon, je vais visiter une voisine intime, ou alors j’attends une petite chance de passage.
Je me sens désorientée d’être la seule survivante de ma famille. Je ne vois plus dans quel sens diriger l’existence. J’ai un garçon de trois ans, il s’appelle
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