Dans l'ombre de la reine
montré en compagnie de Sir Thomas Smith et d’Edward Stanley, comte de Derby. Dites-moi, Lady Catherine, que savez-vous au juste sur la mort d’Amy Dudley ?
J’ignore à quelle réaction je m’attendais. Après tout, il était possible que je me fourvoie, que les liens que j’avais discernés fussent le fruit du hasard, comme les constellations dans le ciel nocturne ; elle répondrait alors par la stupeur et l’indignation. En revanche, il se pouvait que j’aie raison. Dans ce cas, je supposais qu’elle me tiendrait tête et prétendrait ne rien comprendre à mes insinuations, de sorte que je ne saurais jamais, en définitive, si j’avais deviné la vérité.
Je n’avais pas prévu qu’elle s’effondrerait tel un château de cartes. Elle me fixa et se mit à trembler. Puis sa bouche s’ouvrit toute grande, ce qui n’était pas pour l’embellir, et laissa échapper un hurlement. Je la secouai par les épaules.
— Suffit ! Vous allez alerter la moitié de la cour. Je me demande si Amy a crié ainsi avant d’être tuée.
À ces mots, son hurlement se mua en un cri encore plus perçant, ce qui ne me surprit pas vraiment. Je plaquai ma main sur ses lèvres jusqu’à ce qu’elle s’arrête. Ses yeux bleus, énormes et terrifiés, me dévisageaient au-dessus de mes doigts.
— Je vais vous lâcher, mais taisez-vous, lui ordonnai-je.
Je la libérai et elle resta immobile, les cheveux en désordre sur ses épaules et les larmes coulant sur son visage blême. À mon avis, elle ressemblait moins à l’héritière du trône qu’à une jeune mais très méchante sorcière au matin de son exécution.
— Je répète, lui dis-je. Que savez-vous sur la mort d’Amy Dudley ?
Trop tard, elle s’efforça de reconquérir le terrain.
— Comment osez-vous venir ici, élever la voix contre moi et me rudoyer ? J’ignore de quoi vous parlez. Je ne me sens pas bien et je me bouleverse facilement…
— Avez-vous pour habitude de fondre en larmes et de hurler lorsqu’on vous pose une simple question ? Je n’ai rien fait de plus, et je n’ai certes pas élevé la voix, pas plus que je ne vous ai rudoyée. Pour la dernière fois, que savez-vous sur la mort d’Amy Dudley ? Allons, Lady Catherine, cessez donc de prétendre que vous ignorez de quoi je parle.
— Mais c’est vrai ! Je n’en sais rien !
— Je vivais à Cumnor quand elle est morte. Maintenant, écoutez bien.
Je lui retraçai toute l’histoire, à partir du moment où j’avais vu Peter Holme pour la première fois dans le parc de Richmond. Je lui parlai de la visite de Verney et Holme à Cumnor, du fait qu’ils avaient failli me piétiner sous leurs chevaux alors que je revenais de la foire d’Abingdon. Je lui décrivis en détail la maladie d’Amy, ses prières désespérées, sa volonté farouche de rester seule afin que les meurtriers dont elle soupçonnait l’existence pussent mettre un terme à ses souffrances. Pour finir, je lui racontai comment elle gisait, au pied de l’escalier.
— J’espère seulement qu’elle ne s’est pas débattue en hurlant de terreur, en dépit de son courage. À mon avis, la maladie et la douleur rendent la violence plus difficile à supporter, et non l’inverse. Quand vient la dernière heure, la plupart d’entre nous préféreraient mourir dans leur lit que d’être assassinés.
Lady Catherine ne voulait pas m’entendre. Elle se boucha les oreilles, mais je lui agrippai les poignets en lui disant que, non, elle écouterait, que cela lui plût ou pas.
À la fin, je m’adossai contre la table de toilette, les bras croisés.
— Eh bien, Lady Catherine. Que savez-vous au juste ? Vous avez trempé dans cette machination. Vous, l’héritière protestante, vous vouliez conserver vos chances. Vous redoutiez que Lady Dudley disparaisse bientôt de mort naturelle – c’est bien cela ? je suis sur la bonne voie ? –, que la reine et Dudley se marient et qu’ils donnent naissance au futur héritier de la Couronne. Aussi, vous avez conspiré afin que la mort de Lady Dudley ne soit pas naturelle, mais source de scandale…
— Cela ne s’est pas passé ainsi !
— Comment, alors ?
— Oh, mon Dieu ! sanglota Lady Catherine en se tordant les mains.
J’observai ce geste avec intérêt, car bien qu’ayant entendu dire que les gens le faisaient parfois, je n’en avais encore jamais vu la démonstration.
— J’attends.
— Ne le dites à personne !
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