Dans l'ombre de la reine
rouages de mon esprit, puis il reposa sa plume et s’adossa contre son fauteuil.
— Vous l’aimez pour de bon, donc.
— Oui.
Je tournai à nouveau mon regard vers la cour, incapable d’affronter ces yeux bleus trop pénétrants. Puis je tentai de bien me faire comprendre.
— Je me sentais déchirée. Le choix se posait ainsi : trahir Sa Majesté ou trahir mon mari. J’ai choisi la fidélité envers la reine. Je vous ai raconté que nous nous sommes cachés et que j’ai vu nos poursuivants passer. J’ai aperçu le visage de Matthew. Il est toujours épris de moi. Il souffrait. Alors je me demande si je suis une bonne sujette ou simplement une épouse déloyale.
— Mais vous avez été contrainte à ce mariage !
— Dans les faits, oui.
— Un serment, quel qu’il soit, n’est pas valable s’il est extorqué par la force. Je comprends vos émotions, dame…
— Blanchard, s’il vous plaît.
— Je le répète, vos sentiments – d’épouse, en l’occurrence – sont tout à fait louables, dit Cecil, dont les traits se détendirent à nouveau en un sourire austère. Cependant, soyez assurée que vous n’avez pas envers messire de la Roche les devoirs d’une épouse. Nous pourrons sans aucun doute vous obtenir l’annulation. Vous avez agi au mieux, soyez-en sûre.
Je restai silencieuse pendant qu’il compulsait ses notes.
— Vous avez choisi non seulement la fidélité envers Sa Majesté, mais la sauvegarde de l’Angleterre. Souvenez-vous-en. La reine vous sera reconnaissante, autant pour son peuple que pour elle-même. Voyons… Vous dites que Johnson, Brett et Fletcher ont été renvoyés de Withysham avant votre mariage, sur votre insistance, et qu’ils sont partis pour les Midlands. Vous doutez que de la Roche ait pu les avertir à temps pour qu’ils s’enfuient eux aussi.
— En effet. Les Midlands sont situés loin de la côte. Même en supposant que les émissaires de Matthew les aient déjà trouvés, ce qui est improbable, il y a de bonnes chances de les arrêter avant qu’ils n’atteignent la mer.
— Votre raisonnement se tient, dit Cecil avec satisfaction. Dès aujourd’hui, des messagers partiront pour les Midlands et les comtés limitrophes de Londres. Des proclamations seront lues sur les places publiques avant la nuit, demain matin au plus tard. Elles décriront les hommes recherchés et promettront des récompenses. Nos amis auront du mal à passer entre les mailles du filet que je vais tendre devant eux ! Nous devons vous pardonner ce jour de grâce que vous avez accordé à messire de la Roche. Je comprends que vous vous sentiez coupable envers lui. J’espère que nous pourrons étouffer dans l’œuf cette dangereuse conspiration. Mes agents rechercheront la trace des autres collecteurs de fonds à l’œuvre dans le reste du pays. Et, comme je le disais, une annulation est plus qu’envisageable.
Je hochai la tête. La simple évocation de Matthew me rendait son absence si douloureuse que j’avais peine à garder les yeux secs, mais je ne voulais pas m’effondrer dans ce bureau. D’ailleurs, il me restait à aborder un point encore.
— Il y a une autre affaire dont je dois vous entretenir. Cela concerne Sir Robin Dudley.
— Dudley ?
— Oui. J’imagine que le verdict de l’enquête n’a pas mis fin aux ragots, néanmoins je suis convaincue de son innocence.
Je parlai alors à Cecil de la lettre parvenue entre mes mains, et il m’écouta, pensif, acquiesçant de temps à autre.
— Je suis d’accord avec vos conclusions. Vous êtes dotée d’un esprit subtil, dame Blanchard.
— Je sais que bien des gens aimeraient voir Dudley voué à l’opprobre.
Je me rappelai la remarque de Sir Thomas Smith sur un Maître des écuries se pavanant en hermine, mais je me gardai de la répéter. La moitié de la cour l’avait entendue, de toute manière.
— Certains aimeraient que la reine aussi se trouve discréditée, ajoutai-je d’un ton grave. Ces derniers jours, j’ai rencontré des gens qui espèrent, à présent encore, que Sa Majesté épousera Dudley, provoquant une telle indignation dans l’opinion publique que Marie Stuart aura une chance de la renverser. Je vous explique tout cela, Sir William, au cas où vous pourriez… disons, l’avertir.
Cecil hocha la tête.
— Je lui transmettrai votre conseil. Et maintenant, dame Blanchard, je pense que vous devriez retourner immédiatement à vos obligations auprès de
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