De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
au lendemain, mais de cesser de fumer, on ne se console jamais. Prenez donc un cigare.
C’est ainsi, pour lui faire plaisir, que je deviens adepte du cigare, empuantissant le salon-bibliothèque de Mme de Gaulle.
Quelques semaines plus tard, le Général ayant prévu de rentrer à Paris en partant à 13 heures, il m’offre, conformément au rituel, un cigare. Comme le départ se fait aussitôt le café avalé, je le glisse dans ma pochette. À peine installés dans la voiture, il me dit :
— Alors Flohic, et votre cigare ?
Je me retourne et fais un signe lui indiquant que je crains d’importuner Mme de Gaulle.
— Mais fumez donc votre cigare !
Ce qui me prend les deux heures quarante de trajet, jusqu’à Paris !
Si à La Boisserie, je fus toujours son invité, lorsqu’il me fallait le rejoindre dans son bureau de la tour, pour une question de service, instantanément nos rapports redevenaient ceux qu’ils étaient à l’Élysée : de chef à subordonné. Mais, avec le temps, nous nous sommes manifestement habitués l’un à l’autre, de façon tacite, sans qu’il y eût besoin de déclarations formelles entre nous.
1 -
À son retour aux affaires en 1958, de Gaulle s’installa à l’hôtel Matignon, puisqu’il avait été investi par le Parlement, le 1 er juin, pour former un nouveau gouvernement. Il était « président du Conseil », titre que portait, sous la IV e République, celui qu’on appelle aujourd’hui « Premier ministre ».
L’Élysée du Général
Sous la III e et la IV e République, le président n’était qu’un arbitre, c’est-à-dire une potiche à laquelle on faisait inaugurer les chrysanthèmes. La Constitution de 1958 donna, comme on sait, au chef de l’État des responsabilités et des pouvoirs accrus. De palais d’apparat, l’Élysée du général de Gaulle devint le centre des décisions. Toutefois, sans hypertrophie, Matignon resta chargé de l’administration de la Nation. De l’Élysée, part l’impulsion ; à Matignon de la mettre en musique et de faire exécuter la partition. Mais cette impulsion n’a de valeur qu’après avoir reçu l’approbation du Conseil des ministres.
Le Général tient au fonctionnement harmonieux et responsable de l’exécutif, selon les termes de la Constitution qu’il a lui-même voulue.
Ses collaborateurs directs – peu nombreux – s’organisent autour de quatre grandes directions : le secrétariat général, le cabinet, l’état-major particulier, les Affaires africaines et malgaches. Elles ont à leurs têtes « les quatre grands », ainsi nommés par les aides de camp.
D’abord, le secrétaire général. Il est en charge des affaires intérieures de la France. Il assure la liaison avec Matignon et prépare avec le Premier ministre, par l’intermédiaire du secrétaire général du gouvernement [1] , les Conseils des ministres. Afin de renseigner le président sur la situation des différents domaines d’activité nationale, il dispose d’une dizaine de conseillers techniques [2] : Industrie, Finances, Affaires étrangères, Éducation nationale, Recherche scientifique… Ces conseillers s’expriment par notes qui leur reviennent avec un simple « vu » ou des observations éventuelles. Ils sont rarement reçus par de Gaulle, pour de plus amples explications.
La procédure est assez frustrante pour ces hauts fonctionnaires aux qualités éminentes. Mais jamais je ne les ai entendus se plaindre de cet état de fait. Il est vrai qu’auprès de leur ministère de rattachement, ils jouissent, comme collaborateurs du chef de l’État, d’une position très enviable.
De Gaulle considérait ses collaborateurs comme un état-major dont il faisait l’organe impersonnel de son commandement. Ce principe, tout militaire, je l’ai vu respecté sciemment ou tacitement par tous ceux qui ont servi à l’Élysée de son temps. Le public ignore toujours, dans la plupart des cas, quels ont été les collaborateurs du Général : hommes de qualité, ils se sont satisfaits d’avoir oeuvré à une grande cause nationale et ont dédaigné la vanité d’une popularité éphémère. Le fait de n’avoir pas paru sous les feux de l’actualité ne les a pas empêchés d’exercer une grande influence sur les affaires qu’ils avaient à suivre et qui ressortissaient parfois à plusieurs départements ministériels… Leur absolue discrétion leur était naturelle. Jamais ils ne
Weitere Kostenlose Bücher