De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
plus dangereux. Convaincu que Hitler allait gagner la guerre, il déclare, en 1941, devant les ministres du gouvernement de Pétain :
— Il faut s’entendre avec les Allemands, sinon nous ne serons plus rien.
Le 5 mai de la même année, il favorise l’implantation des Allemands en Irak, fournit à l’Afrika Korps trois mille canons stockés en Tunisie dont tous les 155 millimètres et, le 11, à l’Obersalzberg, il offre à Hitler la flotte dont il a besoin pour vaincre l’Angleterre. Du 20 au 28 mai, lors de conférence militaire franco-allemande à Paris, il prépare l’entrée de la France dans la guerre aux côtés de l’Allemagne !
Dans ses Mémoires , de Gaulle déplore simplement que l’amiral ait raté l’occasion d’utiliser sa flotte au profit des Alliés. Il entendait la conserver comme étant son fief, ce qu’il ne réussira pas puisqu’elle finira lamentablement sabordée par ses marins dans les eaux de la rade de Toulon, le 27 novembre 1942.
Le Général, ai-je écrit plus haut, respecte scrupuleusement la laïcité de notre République. Charles de Gaulle est de formation, de conviction et de morale chrétiennes. Il pratique, discrètement, sa religion catholique. Son rapport avec Dieu est du seul ressort de sa conscience. Je le constaterai très souvent.
Vincent Auriol, lorsqu’il était président de la République, avait transformé en bureau la chapelle de l’Élysée. Mme de Gaulle voulut disposer d’un oratoire. Elle me fit acheter, sur sa cassette personnelle, les objets modestes nécessaires au culte. Le dimanche, l’office est, presque toujours, célébré par le neveu du Général, François de Gaulle, père des missions africaines. L’aide de camp sert d’enfant de choeur. En vingt-trois minutes, la messe est dite.
Comme l’Élysée dépend de la paroisse de la Madeleine, le Général estime convenable de recevoir, à l’occasion d’un déjeuner privé, le curé et ses vicaires, auxquels s’adjoint, cela va de soi, Son Éminence Maurice Feltin, cardinal-archevêque de Paris. Le déjeuner terminé, sans doute pour échapper à un échange théologique avec le cardinal Feltin, le Général propose un tour de parc. Au retour vers le palais élyséen, le cardinal émet le voeu de se recueillir un instant dans la chapelle reconstituée. Je vois tout de suite que la requête déplaît à Charles de Gaulle plus qu’au président de la République. Cette chapelle, en effet, est celle de Mme de Gaulle. S’il ne peut s’opposer à la demande du cardinal, il manoeuvre pour que l’oraison de celui-ci soit la plus brève possible.
Le de Gaulle de Colombey, c’est, je crois, Charles de Gaulle qui se sent en complète harmonie avec la terre de France. La tâche du Général aura été écrasante. À cause de son caractère cyclothymique, il se demandait parfois, face aux difficultés, s’il devait s’acharner à tenir. Il a toujours été soutenu par la foi de Charles de Gaulle en l’homme. Un Charles de Gaulle que réconfortait, aussi, la présence d’anciens Français Libres à ses côtés.
— Quand je ne serai plus là, c’est sur eux que la France devra s’appuyer pour maintenir un régime stable, de progrès, de dignité pour assurer la marche en avant de la nation, me dira-t-il.
Malraux et Mauriac, les deux prestigieux écrivains de l’époque, ne sont-ils pas sa caution ? Il se sait grand et il n’a pas cessé d’aspirer à la grandeur, pour lui-même et la France. Pour autant, il n’a rien érigé à sa gloire.
Son modeste tombeau de Colombey, construit pour abriter sa fille Anne, est resté tel qu’à l’origine. Orgueil suprême dans le dépouillement, ou humilité ?
Je répondrai humilité, lui qui a dédicacé ses Mémoires de guerre à Emmanuel d’Harcourt par ces quatre vers de Nietzsche :
Rien ne vaut rien,
Il ne se passe rien
Cependant tout arrive
Mais cela est indifférent.
Les Français se sont trompés sur son compte. En répondant majoritairement « non » au référendum de 1969, qu’ont-ils donc voulu ? Lui donner une leçon ? Je me demande aujourd’hui, quarante ans après sa mort, s’ils ne se sont pas donné une leçon à eux-mêmes. Ils ont gâché l’ultime occasion de célébrer celui qui leur a rendu la liberté et la dignité. On se plaît à dire que les peuples sont ingrats, que c’est la marque des peuples forts. Il y a de nombreux exemples.
Hélas !
Le Brusc, janvier 2010
1 -
Op.
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