De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
son transistor.
— Vous savez, si cela continue ainsi, Poher risque fort d’être élu.
Je réponds avec une pointe de provocation :
— Au fond, ça aurait le mérite de la clarté. On ne pourra pas dire qu’avec Pompidou, c’est le gaullisme qui perdure sous une autre forme.
— Ah non ! Tout de même pas Poher !
Je comprends sa réaction. Poher fait campagne pour le démantèlement des institutions et l’abandon de la force de dissuasion tandis que Pompidou ne saurait aller si loin dans les abandons. Après l’élection de ce dernier, le 15 juin 1969, de Gaulle me confiera :
— Si Poher avait été élu et qu’il ait voulu démanteler la force de dissuasion, je serais intervenu.
C’est la seule fois qu’il m’a fait mention, durant son séjour irlandais, de sa volonté d’intervenir devant les Français. Je note qu’il s’agit de la Défense, qui a toujours été son grand souci et l’objet de ses soins jaloux.
Le protocole irlandais a déniché, non sans mal, la troisième et dernière résidence. Il s’agit de l’annexe de l’hôtel de Kenmare Estate, en plein coeur de Killarney, la capitale du « royaume de Kerry ».
Il a été difficile d’obtenir de Lady Grosvenor, une Anglo-Irlandaise, petite-fille du duc de Grosvenor et descendante des comtes de Kenmare, la mise à disposition de l’annexe, le Dairy Cottage, la laiterie du château de Kenmare qui a échappé à la destruction par le feu. Par trois fois Lady Grosvenor refuse jusqu’au moment où Childers, ministre de la Santé, trouve enfin l’argument convaincant :
— Bah, vous n’êtes qu’une vieille fille qui ne s’intéresse qu’à votre troupeau de vaches hereford.
Lady Grosvenor s’enorgueillira plus tard d’avoir reçu les de Gaulle en hôtes payants. Elle met sa cuisinière et ses deux jeunes femmes de chambre à leur disposition. C’est moi-même qui tiens les comptes et règle les notes, sur une provision remise par le Général au départ de Colombey.
Dans ce domaine de quelque cinq mille hectares qui s’étend des portes de la cathédrale aux lacs, les vaches hereford trouvent leur pâture, mais le beau temps est tel, la sécheresse si persistante qu’elles en souffrent.
Le premier soir, aux alentours de minuit, un tapage infernal secoue le Dairy Cottage : portes qui claquent, cavalcades dans les couloirs. Le lendemain matin, le Général s’enquiert avec humour auprès de moi des raisons de ce tapage :
— Y a-t-il des fantômes dans la maison ?
Il a deviné que les deux femmes de chambre sont à l’origine de ce remue-ménage. Elles se sont rendues le soir en ville après dîner. La soirée avait été joyeusement arrosée dans les pubs et, d’après les policiers irlandais, ce sont leurs bicyclettes qui les ont ramenées !
Le Général continue de travailler à ses Mémoires d’espoir [4] et profite du parc pour se dégourdir les jambes, librement comme il le ferait chez lui à Colombey.
D’une visite de courtoisie chez Lady Grosvenor que j’ai organisée sur ordre, à l’heure du thé, Mme de Gaulle revient amusée :
— Vous avez vu, me dit-elle, cette vieille fille ! Pas étonnant qu’elle n’ait pas trouvé de mari.
C’est au Dairy Cottage que le Général me propose d’inviter ma femme à me rejoindre.
— Si Mme Flohic veut venir, nous serions contents de la recevoir, mais qu’elle ne se croie surtout pas obligée.
Je limite son séjour à une semaine, ce que j’estime convenable. Avec ma Mini de location, nous pouvons nous déplacer ensemble. C’est ainsi que nous nous rendons à Sneem pour qu’elle connaisse Heron’s Cove, la première résidence.
Mme de Gaulle profite aussi de la présence de ma femme pour faire ses courses en ville. En quittant une place de stationnement, ma femme, qui n’a jamais conduit une automobile anglaise – volant à droite –, accroche très légèrement le pare-choc d’une voiture. Elle veut s’arrêter :
— Filons, filons, dit Mme de Gaulle, ce n’est pas le moment de s’arrêter.
Qui aurait pu s’attendre à ce conseil primesautier de Mme de Gaulle ?
Le dimanche 15 juin, les de Gaulle assistent à la messe en la cathédrale de Kenmare. C’est le second tour de l’élection présidentielle. À 23 h 30, le ministre de l’Intérieur annonce que Georges Pompidou est élu président de la République. Je perçois une légère irritation chez le Général. Maintenant que le dauphin lui a
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