De Gaulle Intime : Un Aide De Camp Raconte. Mémoires
enfin succédé, la poursuite de son séjour en Irlande ne se justifie plus : il a montré au peuple de France qu’il ne s’est mêlé de rien qui puisse infléchir son vote dans un sens ou dans l’autre.
Il lui faut se rendre à Dublin à l’invitation de la république d’Irlande afin de témoigner sa gratitude au président Eamon de Valera et au gouvernement. Il est reçu le 17, résidant deux jours à la présidence de la République, Aras an Uachtarain, dans Phoenix Park, jusqu’à son départ définitif. L’accueil des Valera est chaleureux. Les deux hommes se ressemblent physiquement et leurs destins de résistants sont comparables. Les Valera donnent, le premier soir, un dîner privé à l’occasion duquel ils présentent toute leur famille.
Le lendemain, 18 juin, s’annonce comme une journée mélancolique pour l’ambassadeur et moi-même, qui sommes tous deux Français Libres. Nous savons d’instinct que l’immense esplanade du Mont-Valérien sera désormais vide, quelles que soient les cérémonies que l’on pourra y organiser, puisque le Général n’y sera jamais plus présent. Toutefois, il a le réconfort de passer la journée en terre française à l’ambassade d’Ailesbury Road où Emmanuel et madame d’Harcourt ont convié leurs collaborateurs pour lui tenir compagnie. Le Général répond avec beaucoup de chaleur au toast de l’ambassadeur : il est d’Harcourt, il est de Gaulle.
Après une promenade au monastère du Glendalough dans les monts de Wicklow, le Général rencontre le cardinal Convay, primat de toute l’Irlande, résidant à Armagh en Ulster. Puis c’est le dîner officiel offert par Eamon de Valera. Remerciant son hôte, le Général déclare :
— En ce moment grave de ma longue vie, j’ai trouvé ici ce que je cherchais : être en face de moi-même. L’Irlande me l’a offert de la façon la plus délicate, la plus amicale qui soit.
Ce sont ces paroles qui sont inscrites sur le monument de Sneem érigé par les Irlandais et que j’ai eu l’honneur d’inaugurer. Après tout, par les Mac Cartan, de Gaulle est un peu des leurs, justifiant les mots de M. Aiken, ministre des Affaires étrangères, lorsqu’il est arrivé à Cork :
— Welcome home .
Le lendemain, 19 juin, le Général reçoit les Mac Cartan. Originaires du comté de Down en Ulster, ils se sont répandus en Irlande… et en France. Le Général descend du fils cadet du fondateur de la dynastie qui fut tué, avec son aîné, à la bataille de Boyne, le 1 er juillet 1690.
Au déjeuner de gala au château de Dublin – dernière réception offerte par le gouvernement irlandais –, le Général, dans son toast de remerciements, lève son verre « à l’Irlande tout entière ». L’histoire rapporte que ses dernières paroles n’ont pu être enregistrées, la bande du magnétophone étant à sa fin.
Ce déjeuner clôt le séjour du Général. Gagnant aussitôt après l’aéroport, il s’envole pour Saint-Dizier et la calme solitude de La Boisserie. Le Général aura retiré de son séjour en Irlande, outre la satisfaction de ne pas être en France au moment du grand déballage de la campagne présidentielle, un certain réconfort. S’il a retrouvé, dans ce vieux pays celte du couchant, une partie de ses racines, les Mac Cartan, c’est là aussi qu’il a commencé ses Mémoires d’espoir [5] , son ultime message aux Français que la mort interrompra.
Avec son retour à Colombey se termine mon affectation à son service. Je dois prendre le commandement de la Jeanne d’Arc et de l’École d’application des enseignes de vaisseau. Je lui demande si je pourrai lui rendre visite à l’issue de ma première campagne autour du monde. Ce sera chose faite en chemin vers Brest au mois d’août 1970. À cette occasion, les de Gaulle me reçoivent à déjeuner avec ma femme.
Mme de Gaulle a mis les petits plats dans les grands : homards – les demoiselles de Cherbourg –, perdreaux sur canapés, le tout arrosé des meilleurs crus. Menu exceptionnel à La Boisserie où la nourriture est généralement bourgeoise et sans ostentation. Je le prends comme une manière de me remercier sans le dire explicitement. Je note et l’entrain et la bonne mine du Général.
Après le repas je le suis dans son bureau de la tour. Il estime que la descente vers la médiocrité est amorcée.
— On a donné à la Défense, me dit-il, les crédits que j’avais prévus, mais
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