Délivrez-nous du mal
prierons pour le retour de Perrot » fut la seule phrase que trouva à ajouter Auguste.
Il retourna au presbytère.
La salle était vide.
— Père Aba ?
Il monta à l’étage.
Le prêtre n’y était pas.
Il redescendit.
Auguste s’aperçut que l’épée de Maurin avait disparu. L’armoire avait été déplacée ; derrière se cachait une niche creusée à même la pierre. Auguste y passa la main. Elle était vide.
Il remarqua alors le livre de notes d’Aba ouvert sur la table : deux feuillets en avaient été arrachés.
Il ressortit précipitamment.
Entre les ombres et les flammes des bûchers, aucune trace du père Aba…
La nuit se terminait.
Le village de Cantimpré était établi au bord d’un précipice au fond duquel roulait un torrent coupé de rapides. Le plateau de Gramat surplombait les maisons de quelques dizaines de mètres. C’est là que s’étaient postés les quatre guets qui surveillaient les chemins et les environs, une corne à la main, prêts à sonner l’alarme au moindre mouvement suspect.
Le jeune Paulin se trouvait le plus au nord. Emmitouflé sous des linges épais, muni d’une houlette, il observait Cantimpré illuminé, luttant contre la fatigue.
La nuit était totale ; les ténèbres enveloppaient les détours et les escarpements du village. Aucune ville, aucune habitation ne se laissait voir à l’horizon.
Soudain, Paulin entendit un craquement.
Il se leva et se rejeta en arrière par un brusque mouvement, voulant saisir sa corne, mais une voix retentit :
— Ce n’est que moi.
Le père Aba surgit à la faveur de quelques rayons de lune jaune pâle. Il portait une houppelande, une gibecière et un long sac à l’épaule. C’était la première fois que Paulin le revoyait depuis l’accident : il s’inquiéta de son bandeau noir avant de faire un signe de soulagement en posant la main sur son cœur.
Calme, Aba observa la perspective sur Cantimpré.
— C’est un excellent poste d’observation, fit-il.
Paulin trouvait que sa voix avait changé, la blessure au cou la rendait plus grave et éraillée.
Il dit :
— Denis le fils, Martin et Orgas se tiennent avec moi sur d’autres points du plateau : de la sorte rien ne peut nous échapper.
Le père Aba s’assit sur la roche où se reposait Paulin auparavant. Il demeura un moment silencieux, puis demanda :
— Depuis combien de temps vis-tu au village, Paulin ?
— Eh bien… cela fera trois ans.
— Tu es venu ici avec ta mère qui était malade, n’est-ce pas ?
— Nous avions entendu parler des miracles de Cantimpré, et comme les médecins de Bellac où nous vivions pronostiquaient sa mort prochaine, nous avons tenté le voyage jusqu’ici.
— Et elle a été guérie…
— Oui, grâce à Dieu ! Quelques jours à Cantimpré ont suffi à lui rendre la santé !
Aba fit alors un signe vers le village.
— Il serait bien malheureux que ce petit arpent de paradis disparaisse sous les coups de personnes qui ne savent rien de ses merveilles.
— Mais nous ne laisserons pas faire cela, mon père. Jamais !
Aba regarda Paulin :
— Sans doute.
Il n’ajouta rien. Paulin ne savait comment interpréter sa présence à ses côtés.
— Vois-tu, reprit enfin le prêtre, j’ai beau repasser dans mon esprit ce qui nous est arrivé, il y a un point que je n’arrive pas à éclaircir.
Il croisa les bras :
— Cantimpré est coupé du monde. Cette saison, plus qu’aucune autre. Voilà des semaines que personne n’est venu nous visiter, ni qu’un des nôtres ne s’est porté dans une paroisse voisine…
Il poursuivit gravement, sans quitter des yeux les lueurs du village :
— Les douze hommes en noir cherchaient les enfants, c’est évident ; ils cherchaient Perrot, c’est certain ; et ils savaient où le trouver ce matin-là, c’est irréfutable.
Aba regarda Paulin :
— Comment le connaissaient-ils ? D’autant que c’est depuis l’arrivée d’Augustodunensis à la paroisse que je consacre le mercredi matin aux enfants. Les ravisseurs de Perrot ne peuvent avoir atteint si facilement leur objectif sans la traîtrise de l’un d’entre nous à Cantimpré. Quelqu’un les a renseignés.
Paulin sursauta.
— Ce doit être notre nouveau vicaire ! protesta-t-il. Il ne vit parmi nous que depuis deux semaines. Il aura été envoyé pour nous espionner et préparer l’attaque !
Aba hocha la tête.
— J’y ai songé. Cependant, je fais
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