Délivrez-nous du mal
surveiller Augustodunensis sans relâche depuis son arrivée et il n’a pas eu une seconde à lui pour pouvoir transmettre des informations à des tiers.
Aba sortit de sa gibecière les deux feuillets arrachés de son livre de notes.
— Le seul villageois qui montre un comportement suspect ces derniers temps, reprit-il… c’est toi, Paulin.
Le jeune homme se raidit.
— Moi ?
— Il y a six jours, tu es parti vers les bois en prétextant vouloir ramasser des fagots.
— Oui.
— C’était ton droit. Tu es revenu une heure plus tard. Les mains vides.
Aba contempla l’horizon où montait la première lueur blanche du matin :
— Le lendemain, tu es ressorti, près de deux heures, cette fois. Et tu n’as rapporté au village que quelques branches misérables… Que suis-je censé en penser ?
Paulin restait sans bouger. Il balbutia quelques mots incompréhensibles.
— Je savais que cela arriverait un jour, lança Aba en ramenant ses yeux vers le garçon. Qui a pris contact avec toi, Paulin ?
— Mais je… Personne… Je ne comprends pas ce que vous…
— Ne me cache rien, tu le regretterais. Je ne suis pas un prêtre aussi accommodant que je l’ai laissé paraître ces années… Il y a des choses qu’on pardonne difficilement. La coulpe chrétienne ne peut pas tout…
Paulin secoua la tête.
— Vous vous trompez… Vous vous trompez… Je…
Soudain le garçon se tourna et voulut fuir ; mais, en une seconde, Aba était sur lui, les mains sur son cou.
— Qui ? Qui ?
— Pitié, mon père…
— Réponds !
— Personne…
Le prêtre tira de son sac l’épée qui avait servi à tuer Maurin et la pointa sur la gorge de Paulin.
— Au besoin, je ne ferai preuve d’aucune pitié, mon garçon ! Parle et je t’épargne. Qui ?
— Mais… je l’ignore, mon père… Je l’ignore !… J’ai quitté le village pour les fagots, et je suis tombé sur deux hommes qui s’étaient égarés sur les pistes du causse. Lorsque je leur ai appris qu’ils se tenaient non loin de Cantimpré, ils ont eu peur.
— Peur ?
— Ils m’ont dit qu’ils arrivaient de Cahors et qu’à Cahors, Cantimpré avait été condamné par l’évêché et que je devrais fuir d’ici avant les représailles.
— Comment as-tu imaginé que, si cela était seulement vrai, je n’en aurais pas été tenu au courant ? Tu t’es laissé prendre à de vulgaires mensonges.
— Mais je ne les ai pas crus, justement !… C’est pour cela qu’ils m’ont recommandé de revenir le lendemain. Ils sont apparus avec un archidiacre de Cahors. Ce dernier m’a présenté les documents. Il y était dit que Cantimpré devait être purgé de ses mauvais esprits. Et que pour eux, il s’agissait des enfants. Ces enfants nés de manière « peu naturelle », selon leurs termes !…
Aba accentua la pression de l’épée sur Paulin.
— Les enfants ? Pourquoi n’es-tu pas venu m’en parler ?
Paulin tremblait et suait :
— Ils ont dit que c’est vous qui seriez châtié le premier, mon père ! Que vous saviez des choses sur les enfants, que vous cachiez un secret à vos fidèles depuis toutes ces années !… Je leur ai alors confirmé votre emploi du temps et les moments que vous passiez avec les petits… Mais je ne pensais pas à mal !
Aba, gardant le jeune homme sous la menace de son arme, tourna la tête pour contempler de nouveau les lumières de Cantimpré. Il finit par murmurer, avec tristesse :
— Tu n’as pas idée de ce que tu as fait, Paulin…
Il se redressa, abattu. Le garçon resta allongé, la pointe de l’épée suspendue au-dessus de sa tête.
— Je n’ai même pas besoin de te tuer pour ta trahison, lui dit Aba. Ils s’en chargeront eux-mêmes.
Le prêtre ôta l’épée et secoua la tête :
— Et dire que ta mère a été sauvée ici… Adieu, Paulin.
Le père Aba se tourna et marcha dans la neige vers l’intérieur du causse.
Le garçon se dressa alors, et lança :
— Je n’ai pas trahi. Les villageois parlaient déjà de ce que sont venus me dire les deux inconnus : vous nous cachez quelque chose ! Vous dissimulez des vérités sur les miracles de Cantimpré !… Ce n’est pas moi qui ai fait venir cette troupe noire… Ce serait vous !
Aba s’arrêta net, serra les poings, enrageant de s’entendre accuser. D’un bond, il se rua sur Paulin et le décapita d’un puissant coup d’épée.
Le père Aba resta un moment
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