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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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évanouie. Mon mari est devenu un homme inquiet, méfiant, traqué, craignant jusqu’à ses proches collaborateurs. Au point de vouloir quitter Rome et d’abandonner les États pontificaux. Notre départ secret à tous deux était imminent. Seulement il est venu vous consulter, sans m’en avertir ; et la nuit suivante, il a perdu la vie. Aussi, je vous le redemande : que vous voulait-il ?
    Bénédict était stupéfait d’entendre les révélations de la veuve de Chênedollé. Sa droiture était désarmante ; il ne savait quoi penser d’elle. Il réfléchit un moment avant de répondre :
    — Madame, je reçois ici toutes sortes de gens. Bien souvent, ils espèrent me voir résoudre des affaires embarrassantes qu’ils cachent à leurs associés ou à leurs familles. D’emblée, je ne jouis pas de leur confiance ; ils commencent en général par m’éprouver. J’ignore pourquoi votre mari a menti sur sa vie de famille, pourquoi il m’a donné ces textes chiffrés. Peut-être cherchait-il à vérifier mes talents ? Voulait-il s’assurer que j’étais l’homme qu’on lui avait indiqué avant de pouvoir s’ouvrir plus sérieusement devant moi ?
    La femme de Chênedollé eut beau insister, pousser les questions sur divers sujets, Bénédict ne trouvait rien d’autre à lui avouer.
    — Je ne sais rien.
    Il observait le valet qui, cette fois encore, restait immobile et muet.
    Déçue, la veuve se leva.
    — Il n’est plus question que je quitte Rome, déclara-t-elle. Je compte découvrir ce qui a causé la fin odieuse de mon mari. Nous nous reverrons.
    Elle fit signe au valet. Celui-ci déposa quelques pièces devant Gui.
    — Pour les dégâts causés à votre porte, lâcha la femme avec dédain.
    Elle sortit dans le froid et disparut avec son équipage.
    Aussitôt Bénédict s’élança à la recherche du dossier que Chênedollé avait oublié sous son écritoire et qu’il s’était bien gardé de mentionner un instant plus tôt.
    Il s’installa à sa table de travail et l’ouvrit.
    Il parcourut les premiers feuillets sans rien remarquer de singulier ; il ne voyait que des colonnés de produits adressés au marchand banquier par un Vénitien qui, selon la veuve de Chênedollé, n’existait pas, à propos d’un commerce qui, toujours selon elle, n’avait jamais eu lieu !
    Brusquement, Gui saisit l’astuce.
    Il se munit d’une réglette à curseurs sur lesquels étaient inscrits des chiffres arabes et des expressions numérales positives et négatives.
    Il s’attarda plus de cinq heures sur ces pages, sans presque jamais relever la tête. La journée se passa jusqu’au soir, il alluma ses bougies, ignora tous ceux qui frappaient à sa porte.
    Enfin il finit par laisser échapper un long sifflement admiratif.
    Autant les premiers documents présentés par Chênedollé étaient ridiculement chiffrés, révélant une maîtrise enfantine des codes secrets qui, volontairement , sautaient aux yeux, autant celui-ci employait un chiffre à plusieurs degrés d’une formidable complexité et d’une exécution qui passait toutes les louanges.
    Ces premiers documents n’avaient pour objectif que de le mettre sur la voie, et ce dossier, habilement oublié sous son écritoire, devait échapper à la vigilance du valet qui accompagnait le marchand.
    Primo, Chênedollé avertissait Bénédict Gui qu’il se sentait suivi, surveillé, qu’il craignait pour sa vie et qu’il n’avait pas d’autres moyens de s’adresser à lui.
    « Toujours le valet », songea Gui.
    Secundo, il confirmait son désir de fuir la Ville et de ne plus rien entreprendre, après ce texte codé, qui risque de compromettre son existence ou celle de sa femme.
    « La veuve n’avait pas menti. »
    Tertio, il évoquait les disparitions au mois de décembre des cardinaux Portai de Borgo, Philonenko, Othon de Biel et Benoît Fillastre. Insinuant que leurs morts n’étaient ni accidentelles, ni liées à l’élection du pape comme certains pouvaient le laisser croire. À cette liste de quatre noms, il ajoutait ceux d’Henrik Rasmussen et de Rainerio !
    Bénédict dut s’y reprendre à plusieurs fois avant d’être certain d’avoir déchiffré correctement : « Ouvrez l’œil et suivez la piste de Rainerio…»
    Ébahi, Bénédict se renversa sur sa chaise, serrant son menton entre son pouce et son index.
    « Que vient faire Rainerio dans l’affaire de Chênedollé et son meurtre ? Pourquoi ces folles

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