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Délivrez-nous du mal

Délivrez-nous du mal

Titel: Délivrez-nous du mal Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Romain Sardou
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ce dernier libéré de ses obligations envers l’archevêque. Le dominicain avait une soixantaine d’années. Encore fort pour son âge, sans graisse superflue, le cou puissant, il portait la robe blanche et le scapulaire noir de son ordre, uniforme d’inquisiteur qui faisait frémir tous les chrétiens en délicatesse avec le dogme.
    Son bureau se composait d’une longue table encombrée de piles de dossiers, de rôles et de parchemins. Près de lui tenaient en équilibre un sablier pour sécher l’encre, de la cire chaude pour les sceaux, des poinçons et des cierges qui pleuraient leur gomme. L’abbé se tenait à un bout de la table, embrassant du regard les dernières informations rapportées par ses frères prêcheurs.
    Tagliaferro sursauta en découvrant le visage du père Aba. Ce dernier, dès son entrée, s’était précipité pour lui baiser le cordon du froc.
    Aba ressemblait à l’Ecce Homo.
    — Dieu ! s’exclama le dominicain.
    Il le fit asseoir.
    — Laisse-moi t’examiner.
    Il leva le bandeau du prêtre et eut un mouvement de recul quand fut révélée la hideur de la plaie de l’œil desséché.
    — Tu ne peux pas rester ainsi, objecta-t-il. Tu dois être soigné. Que t’est-il arrivé ?
    Le père Aba lui exposa ce qui s’était déroulé ce matin mille fois maudit à Cantimpré.
    La figure de Tagliaferro se creusa :
    — Je redoutais qu’un drame survienne un jour dans cette paroisse ! Tous ces miracles inexpliqués…
    Sourd aux protestations du jeune prêtre, Tagliaferro fit venir, séance tenante, le frère Janvier.
    Le père Aba se retrouva entre les mains de cet ancien colon du Levant, petit homme replet et plein de civilité qui avait appris l’art de soigner grâce à un Arabe aux côtés duquel il suivait les armées chrétiennes. Jamais apprenti chirurgien n’eut autant de cadavres à se mettre sous la main et à disséquer en paix !
    Frère Janvier jugea honorable le travail accompli par le barbier de Cantimpré.
    — Il va falloir maintenant ôter cet œil mort, sans plus tarder, dit-il. Des abcès s’épaississent dans le fond osseux de l’orbite. C’est un miracle que, sous une telle névralgie, vous teniez encore debout et ne vous rouliez pas à terre de douleur.
    — J’ai quitté Cantimpré avant que Pasquier puisse terminer de me soigner.
    Le jour même, frère Janvier, sur ordre de son supérieur mais en violation des règles imposées par le concile de Tours contre la chirurgie, énucléa Guillem Aba.
    Les cris de ce dernier s’entendirent jusque dans les rues de Narbonne.
    Trois jours plus tard, Tagliaferro vint le visiter dans sa chambre, satisfait de son état général ; Aba était plus reposé, les traits moins crispés et le visage retrouvant quelques couleurs.
    Le jeune prêtre dut reconnaître que ses terribles maux de tête avaient enfin cessé.
    Sa chambre chez les dominicains était luxueusement décorée ; les craquements d’une bûche dans la cheminée consolaient de la vue qu’offrait la croisée, depuis le lit, sur les rues de la ville : il neigeait, l’air était glacial ; le ciel, noir.
    — Je me suis renseigné, commença Tagliaferro. Les douze mercenaires en noir qui t’ont attaqué et ont enlevé Perrot n’ont été repérés nulle part ailleurs dans la région ces derniers temps. La description que tu m’en as faite rappelle seulement le cas de l’assassinat d’un évêque à Draguan. Nous ne savons rien d’autre.
    Le père Aba évoqua les pièces de gros tournois d’argent laissées à l’auberge de Disard.
    — Ils peuvent être à la solde de n’importe qui ! Vous ne croyez pas à une intervention cachée de l’Église ? demanda-t-il au dominicain.
    L’abbé secoua la tête.
    — De l’Église ? Non. Rien ne se fait sans nous dans la région. Et puis le cas de ton village n’a toujours pas été tranché. Pourquoi s’en prendre à Cantimpré ?
    Dès les premiers prodiges, huit ans plus tôt, monseigneur Beautrelet, l’évêque de Cahors, était venu en personne à la paroisse accompagné d’une suite riche et nombreuse. Il avait félicité la bonne « santé » de Cantimpré, sans s’appesantir sur les prodiges. Pour lui, il n’y avait aucune diablerie, pas d’idole suspecte, ni de rite de fertilité, d’incantation ou de mystification. Selon un décret provisoire de l’évêché, les habitants du village étaient simplement récompensés de n’avoir jamais prêté le flanc aux

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