Délivrez-nous du mal
comprit que la troupe s’attaquait à un village comme elle l’avait fait quelques jours plus tôt à Cantimpré.
Il reconnut la voix d’Até qui lançait des ordres à ses troupes. Le feu fut mis à plusieurs maisons. La fumée envahit l’air et pénétra jusque sous la bâche de la charrette.
L’assaut s’éternisait.
C’étaient des appels à la révolte, c’étaient de longs échanges de coups, c’était le ralliement des hommes en noir lorsqu’il fut découvert que l’un d’eux avait été tué.
Perrot se rappela qu’à Cantimpré, les hommes n’étaient restés que quelques minutes !…
Ici, plus le temps passait et plus les combats s’intensifiaient.
La bâche du fond de la charrette s’élargit soudain. Les longues flammes dévoraient les maisons et léchaient la cime des arbres. Perrot aperçut dans le chaos le visage apeuré d’un villageois qui avait reçu un coup au crâne et qui saignait abondamment. Des toits s’effondraient dans des colonnes d’étincelles, des paysans luttaient contre les hommes d’Até, armés de bâtons, de fourches et de piques.
Até, sanglée dans sa tenue noire, apparut sous la bâche de Perrot. Elle avait l’épaule droite blessée, un bout de chair était à vif et ensanglantait le cuir de son bras.
Elle tenait une jeune fille par le col, qu’elle bascula à l’intérieur de la charrette.
La fille était terrorisée.
Até l’attacha à une chaîne, puis donna un coup du plat de son épée sur la ridelle de la charrette en ordonnant le départ.
Le charroi se mit aussitôt en route, laissant les combats derrière lui.
Il s’arrêta au bout de quelques minutes, en rase campagne, attendant que les hommes en noir en finissent avec les villageois.
Perrot regarda la jeune fille. Elle devait avoir une quinzaine d’années. Elle pleurait. Mais lorsque son regard croisa celui du garçon, elle parut se rasséréner. Elle s’approcha et se blottit contre lui.
Les cavaliers revinrent.
La toile de bâche se rouvrit.
Até, maintenant à visage découvert, le capuchon sur les épaules, observa la jeune fille qui s’était mise sous la protection du petit garçon de huit ans.
Elle porta son regard de l’un à l’autre, répétant entre ses dents ce monosyllabe expressif :
— Bien ! Bien ! Bien !
Puis lança :
— À présent, nous partons pour Rome.
C HAPITRE 0 5
Bénédict Gui se dit qu’il ne passerait pas trois jours avant de se voir arrêté par la police du Latran.
Si le secret de la disparition de Rainerio tenait à cette « Sacrée Congrégation » qui faisait et défaisait les saints, si, d’après la brève évocation de Chênedollé dans son dernier texte, le garçon était au service de feu le cardinal Rasmussen, Bénédict voyait venir l’issue de son enquête : approchant de trop près d’immenses intérêts, il sérait repéré avant même d’avoir pu poser assez de questions pour entrevoir le nœud de l’affaire.
« Trois jours », se répéta-t-il.
Cela ne l’empêcha pas de ressortir de chez lui, résolu à prendre le destin de ce Rainerio en main et à fournir une explication à sa sœur. Sa curiosité et sa passion du juste l’emportaient sur ses réticences.
Sa première idée fut de retourner au palais du cardinal Henrik Rasmussen.
Sur la via Nomentana, le ballet des dignitaires venus se recueillir sur les restes du prélat avait disparu, pourtant l’animation populaire ne s’était pas tarie : une partie de la foule assistait à un nouveau spectacle. On défaisait la tenture noire qui couvrait la façade, des silhouettes entraient et sortaient d’un pas affairé, mais, surtout, des chariots avaient pénétré en nombre dans la cour du palais et des gardes encerclaient l’édifice à chaque point clef ; tout l’inverse d’un deuil.
Bénédict ne tarda pas à deviner la fonction de ces multiples charrettes : des gens du palais y entassaient meubles, portants de vêtements, rideaux, mais aussi coffres de vaisselle et d’ornements.
Le déménagement était si volumineux que certaines carrioles ne purent entrer dans la cour du palais et durent stationner sur la place où elles étaient bondées par des domestiques.
Près de Bénédict, le bas peuple poussait des sifflements admiratifs et des bordées d’injures selon qu’un large mobilier de bois précieux venait de se laisser entrevoir sous des couvertures, ou qu’un magnifique crucifix fût remarqué. L’opulence pouvait aller au
Weitere Kostenlose Bücher