Délivrez-nous du mal
lentement.
— Je connais le cas d’un certain Jehan, enfant du village de Ponzac, situé à six lieues au nord de Montauban.
Le prêtre examina la carte de Narbonne. Mais cet endroit n’était pas indiqué dans les archives dominicaines.
— Son don était aussi étrange que celui de Perrot, poursuivit la femme. Ce garçon sommeillait, sans raison et dans n’importe quelle circonstance. Ses parents ont craint qu’il s’agisse d’un changelier , un petit corps d’enfant possédé par un démon. Ils me l’ont amené afin que je le guérisse, mais ma science et son très jeune âge ne me permettaient pas d’identifier le mal. On ne comprit qu’un peu plus tard, lorsqu’il apprit à parler. Dès que l’enfant tombait en sommeil, il était assailli de visions miraculeuses. Il suffisait alors de le questionner sur n’importe quel sujet qui soit hors de sa portée pour que, après quelques minutes de torpeur, il restitue la bonne réponse. L’enfant est devenu célèbre dans la région. Tout le monde voulait tirer profit de son don.
La sorcière soupira.
— Comme chez vous à Cantimpré, le jour de ses six ans, l’été dernier, une troupe armée a débarqué à Ponzac pour le ravir…
Jeanne Quimpoix se munit d’une mine de plomb et prit la carte du père Aba. En silence, elle inscrivit des croix.
Quatorze croix.
Huit d’entre elles se situaient dans des villages qui n’avaient pas été repérés par le père Aba à Narbonne.
— Voilà d’autres villages où l’on peut dire que des enfants miraculeux ont vu le jour au cours des dernières années.
Le père Aba était abasourdi.
— Comment croire qu’autant de manifestations de cette nature soient ramassées dans un même pays ?
Jeanne hocha la tête :
— M’est avis que cela s’ajoute aux nombreux mystères qu’il vous reste à lever.
Elle se ressaisit de sa mine de plomb et dessina un cercle qui enfermait dans son aire tous les villages qu’elle avait désignés.
Cantimpré se situait au beau milieu.
— La clef est sans doute là…
C HAPITRE 0 4
Até ôta les vêtements de Perrot, le fit laver et étriller et le revêtit de lin blanc. L’enfant vivait dans une petite chambre pratiquée dans l’épaisseur du mur d’enceinte qui cernait le donjon. Seule Até avait le droit de l’approcher, ainsi qu’un frère augustin, muni d’un cahier de parchemin et d’un jeu de mines de plomb, qui dessina méticuleusement son portrait.
Le moribond miraculé dans les souterrains réussit à se lever et à parler. Avertie de son état encourageant, Até ordonna de lui donner la mort. Il fut conduit, en présence de Perrot, dans la cour principale du château, et pendu.
Son agonie ne dura pas les quelques minutes ordinaires de ce supplice, mais cinq fois plus longtemps. Le malheureux se révulsait, gesticulait, sans jamais perdre connaissance. Alors que le bras séculier favorisait la pendaison pour sa rapidité et son absence d’effusion de sang, là, le pendu se vida littéralement par les yeux, le nez, les oreilles et la bouche. Son visage devint mauve, presque jusqu’au noir. Cet abominable reflux de sang ne s’interrompit qu’avec son trépas.
— Bien, se contenta de dire Até. Très bien.
Elle regarda Perrot. Il avait adopté une position presque prostrée. Elle savait que son don avait interféré dans l’agonie du pendu et retardé sa mort. Comme au presbytère de Cantimpré où elle avait fait signe à l’un de ses hommes de percer de part en part un jeune enfant et que lui non plus n’était pas mort sur le coup…
La sœur portière de Montauban avait perdu la raison depuis qu’elle avait revu son malade sur pied. Elle appelait les anges à sa rescousse, prétendait que le diable habitait le corps du miraculé et fit d’invraisemblables danses de joie lors de l’agonie du pendu.
Lasse, Até la fit garrotter.
Le lendemain, Perrot, Até et sa troupe reprirent la route.
Cette fois le garçon ne fut pas caché dans un vulgaire sac mais conduit dans une charrette bâchée, si étroite que quatre personnes ne s’y seraient pas assises, les chevilles entravées par une chaîne.
Les hommes en noir qui virent l’enfant passer près d’eux semblaient inquiets. Certains ne s’étaient pas remis de la guérison dans les sous-sols du château.
Dans la charrette, Perrot dut s’agripper aux portants de la bâche tant le véhicule fut lancé à vive allure sur des chemins difficiles, rivalisant de
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