Délivrez-nous du mal
qu’il se nommait Marteen et qu’il était un Flamand de basse extraction ayant rejoint les Rasmussen à Rome dix ans auparavant.
Petit, privé de cou, les épaules en dedans, des cheveux gris clairsemés, un visage étroit, il affichait une disproportion flagrante entre le bas et le haut de son corps qui faisait de lui un grand nain. On sentait l’exaspéré de nature, le contrarié permanent, le réfractaire perpétuel.
— Retourner s’enterrer en Flandre après avoir vécu à Rome ! pestait-il. Je me sens aujourd’hui plus latin qu’un vieil Albain. Voilà qu’on me déplante comme de la sauge des prés !
Cela expliquait sans doute sa mauvaise humeur et le traitement qu’il infligeait aux domestiques.
— Forcé d’habiter de nouveau sous l’horrible climat de la Flandre ! Un périple de neuf semaines aux côtés de la sœur rombière. En plein hiver !
Bénédict s’approcha et l’entendit se plaindre encore auprès de son compagnon.
Il regretterait les banquets au Latran, la diversité des victuailles débarquées à Ostîe, la douceur des bords du Tibre, la limpidité de la lumière romaine au printemps, mais aussi certaines filles des mauvais quartiers qui savaient lui donner son plaisir comme personne, et quelques tavernes aux vins renommés.
À l’estime, Bénédict se dit que ce Marteen, navré et excité comme il était, projetait certainement de faire cette nuit ses adieux à la Ville Éternelle avant de lever le pied.
Un magnifique cercueil en acajou aux attaches dorées fut livré peu après au palais. Un silence respectueux accueillit ce long coffre funéraire destiné à véhiculer Rasmussen jusqu’à sa dernière demeure de Tournai, mais ne dura pas. Les Romains glosèrent de plus belle sur la dépense d’une telle bière, versée en pure perte pour n’héberger qu’un sac d’os et des asticots semblables à ceux du commun. À moins qu’Henrik Rasmussen ne fût un défunt au corps imputrescible, au doux parfum de sainteté, probabilité qui recueillait peu de suffrages.
Bénédict s’en alla inspecter les environs…
C HAPITRE 0 6
Le père Aba ne resta que quelques heures dans le village de Jeanne Quimpoix.
Il emporta la carte de la région annotée et, sur sa mule pansée par la sorcière, il prit la direction de Toulouse.
Trois jours après, il arrivait aux portes de la grande cité et parvint à franchir les remparts avant leur fermeture, évitant ainsi de passer la nuit dans les masures qui avaient fleuri au pied de la ville. Il ne connaissait Toulouse que de réputation, capitale meurtrie par les guerres et rendue sous l’autorité du roi de France depuis la capitulation de ses comtes. Il découvrit une effervescence qu’il croyait n’exister qu’à Paris. Les rues grouillaient de monde malgré la tombée du jour, le manteau de neige avait viré à la boue ; il circulait en contournant d’énormes flaques qui détrempaient la chaussée.
Après avoir demandé son chemin, il se trouva dans la rue des Auberges-du-Pont où se concentraient la plupart des quarante hôtelleries de la ville. À chaque façade oscillaient des enseignes aux noms évocateurs et aux couleurs rabattues. Le père Aba opta pour L’Image Notre-Dame. Le couple d’hôteliers qui le reçut l’hébergea dans une petite chambre, à la propreté bienséante, sans chauffage, avec une croisée dont le volet fermait mal, mais au lit pourvu d’un épais édredon qu’ils battirent avec de la touaille enflammée pour tuer les punaises. À L’Image Notre-Dame, les clients pouvaient acheter leur viande et leur volaille, mais devaient la rôtir eux-mêmes à la broche.
Le père Aba s’établit dans sa chambre à l’étage puis redescendit se composer un plat de fèves et de la bouillie d’orge. Il demanda ensuite à l’aubergiste où se situait le principal hospice des enfants trouvés, ainsi que la meilleure fabrique d’armes.
Le brave homme lui répondit : « Rue du Guet et rue des Acacias. »
Après avoir dîné, il remonta prendre du repos, écrasé de fatigue par son périple depuis Narbonne.
Le lendemain matin, il se rendit à l’hospice des enfants trouvés Jean-le-Baptiste, réputé pour être le plus vaste du comté.
Le bâtiment était aux mains des chanoines de Prémontré et tirait sa subsistance de dons et de champs agricoles exploités à la périphérie de Toulouse. L’édifice était princier, ancien logis d’une riche aristocrate apparentée aux vicomtes de
Weitere Kostenlose Bücher