Délivrez-nous du mal
ainsi que la poussière d’un tombeau de vierge qui, délayée dans du vin, rend la vue aux aveugles.
Y croyaient-ils seulement, à ces miracles ?
Bénédict ne l’aurait pas juré.
Il demanda :
— Sur quoi se fonde le verdict des membres de l’abbaye de Pozzo ?
Tous répondirent en même temps :
— Avant tout, il est politique. L’essentiel, pour les juges de Pozzo, est d’évaluer le rayonnement posthume du serviteur de Dieu qui postule à la sanctification. Rien n’humilie tant l’Église que de nommer un nouveau saint et de ne voir personne se précipiter sur sa tombe !
— De nos jours, elle souhaite générer moins de saints, mais concentrer les pèlerins et amasser plus d’offrandes.
— Hormis s’il y a eu miracle spectaculaire ou si le serviteur a été un homme très renommé de son vivant, le processus dure désormais de nombreuses années, cela pour décourager les requêtes abusives.
— Ah ! l’horizon de notre profession s’est obscurci, se plaignit le vieux. Autrefois, il était plus aisé de faire un saint ! La voix seule du peuple suffisait. Pas besoin d’enquête et de preuves consistantes !
On rit de suppliques farfelues qui avaient néanmoins abouti à une canonisation.
On but beaucoup ; le mouton fut servi.
Bénédict choisit le moment opportun pour centrer ses propos. Il entretint la conversation avant de demander :
— Connaissez-vous le cardinal Rasmussen ?
La question fit se taire les quatre autour de lui.
— En tant que Promoteur de la foi, reprit-il, feignant la surprise, il est en charge d’invalider les cas présentés ici. Vous devriez le connaître…
Ce fut le vieux qui répondit :
— En effet, il invalidait… et il ne s’en privait pas ! pesta-t-il. Cet homme, Dieu me pardonne puisque nous venons d’apprendre sa disparition, a été trente ans durant le cauchemar des requérants et postulateurs de saints. On le surnommait le « Démosthène du Canon ». C’est bien simple, si Rasmussen se mêlait de votre cas, vous pouviez être assuré d’échouer devant la Sacrée Congrégation, et ce, quel que fût le poids de l’argumentation préparée par la défense. D’après moi, cet homme aurait déclassé saint Benoît et bouté le roi Louis de France hors de son coin de paradis, si on lui en avait donné l’occasion !
Bénédict poursuivit ses allusions et ses suggestions, avec habileté, jusqu’à ce que le vin eût fait perdre toute idée de méfiance à ses compagnons :
— Et son assistant Rainerio ? Vous le connaissiez aussi ? demanda-t-il.
— Oui ! Il venait quelquefois à l’abbaye, s’exclama le plus jeune de ses compagnons.
Gui tressaillit et serra les poings.
— Il venait à Pozzo ?
Le garçon confirma son propos :
— Sans doute pour le compte de son maître. À la vérité, on ne se réjouissait pas de le voir traîner dans les environs.
Sentant le poisson ferré, Bénédict s’enhardit :
— L’un d’entre vous le connaissait-il bien ?
La question, cette fois, fit sourire.
— Qui aurait osé fréquenter l’homme de Rasmussen ? Il ne se montrait pas ici dans le but de nous soutenir, mais pour collecter des arguments et nous accabler, tôt ou tard !
Le vieil Apulien ajouta :
— Toutefois il comptait un ami à l’abbaye. Le frère Hauser, qui a longtemps tenu la charge du scriptorium.
— Longtemps ? Il ne s’y trouve plus ? s’inquiéta Gui.
— L’homme est vieux et il est en mauvaise santé à ce que l’on raconte.
— Il réside à l’abbaye de Pozzo ?
— Il semble bien…
Il n’en fallait pas davantage pour mettre Bénédict en mouvement. Le lendemain matin, avant même que les cloches sonnent les laudes, il se présenta à l’abbaye et demanda à voir le frère Hauser, prétextant qu’il lui portait des nouvelles de l’un de ses lointains amis. Il dut attendre que le vieil homme souffrant se réveille pour pouvoir être admis dans sa cellule.
C’était une pièce exiguë et austère. Hauser était allongé sur un lit de paille, blême, le visage squelettique, le corps recouvert d’épaisses couvertures. Les murs étaient gris, noircis par l’humidité et la fumée des cierges.
Une nonne âgée était assise sur une chaise non loin de lui, un psautier ouvert sur les genoux. La garde-malade observa avec méfiance Bénédict qui entrait.
Il s’avança auprès du moribond. L’odeur était abominable ; il eut tout de suite le sentiment que
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