Dernier acte à Palmyre
conclut Helena. Et pourtant ils le détestaient…
— Exact. Et pour la nuit où Ione a été assassinée, Tranio est celui qui m’a fourni l’alibi le moins crédible. Ce pauvre Congrio arpentait les rues de Gerasa en écrivant des affiches bourrées de fautes. Grumio faisait son numéro dans la rue. Chremes, Davos et Philocrates dînaient ensemble…
— Philocrates n’est pas toujours resté avec eux. Rappelle-toi qu’il dit avoir forniqué avec une fromagère, précisa Helena.
Elle semblait éprouver beaucoup d’antipathie pour son admirateur.
— Il m’a montré le fromage ! m’exclamai-je en riant.
Musa ne put s’empêcher de m’imiter, avant d’ajouter :
— Je crois que le beau gosse est trop occupé à séduire pour avoir le temps de commettre des meurtres.
— Et à manger du fromage le reste du temps ?
— Il aurait pu se procurer ce fromage n’importe où, déclara Helena qui gardait tout son sérieux.
— Non, seulement dans une boutique dont le comptoir n’est pas trop haut !
— Oh ! arrête de dire des bêtises, Marcus !
— Tu as raison. (Je tentai de rassembler mes esprits.) Donc ils ont tous un alibi, sauf Tranio. Il prétend avoir passé toute la nuit avec Afrania, mais j’en doute.
— Alors il devient notre seul suspect ? demanda Helena.
Au fond de moi, j’éprouvais toujours un certain sentiment de malaise.
— Il nous faudrait tout de même davantage de preuves. D’après toi, Musa, est-ce que Tranio pourrait être l’homme qui sifflait en redescendant de la montagne ?
— Oh oui ! (Je pouvais deviner que lui aussi était troublé.) Mais à la réflexion, le soir où on m’a poussé à Bostra, je suis certain que Tranio marchait devant moi. Congrio, Grumio et Davos étaient derrière. Ç’aurait pu être un des trois, mais pas Tranio.
— Tu en es vraiment sûr ?
— Maintenant, oui.
— Quand je t’ai posé la question tout de suite après, tu…
— Sur le moment je n’avais pas les idées très claires. J’y ai beaucoup réfléchi depuis.
— Et tu affirmes toujours qu’on t’a poussé, qu’il ne peut pas s’agir d’un accident ?
Il acquiesça d’un signe de tête.
— Alors je trouve bizarre qu’on n’ait pas cherché à recommencer…
— Je me tiens toujours près de toi, c’est une protection parfaite. (Il resta très sérieux en prononçant ces paroles, et je ne parvins pas à relever la moindre trace d’ironie.) J’ai senti quelqu’un me bousculer, rappela-t-il. Et s’il s’était agi d’un accident, cette personne aurait tout de suite appelé à l’aide.
Helena Justina parut peser le pour et le contre pendant un moment.
— Marcus, tout le monde sait que tu essayes de trouver le meurtrier. Il n’a pourtant pas cherché à t’attaquer. Il est peut-être devenu plus prudent, tout simplement.
Et il ne s’était pas risqué à attaquer Helena non plus, ce dont j’avais eu très peur sans vouloir l’avouer.
— J’aimerais beaucoup qu’il essaye, je serais sûr d’avoir sa peau.
Je continuai à réfléchir en silence. Cette enquête me laissait un mauvais goût dans la bouche. Nous avions peut-être manqué un indice crucial… Plus le temps passait, et plus cet assassin avait des chances de s’en tirer. L’idée me faisait enrager.
— On n’a plus jamais vu aucun membre de la troupe avec un chapeau, fit remarquer Helena, qui elle aussi se creusait la cervelle.
— Et il ne siffle plus, ajouta Musa.
Il semblait également s’être arrêté de tuer. Il devait savoir que je restais complètement dans le vague et penser qu’il s’en tirerait en se tenant tranquille. Il n’avait pas tort.
Il fallait donc l’obliger à faire un faux pas.
Refusant d’abandonner la partie, je retournais le problème dans tous les sens.
— Nous nous trouvons devant une situation où aucun des suspects ne peut avoir participé aux trois agressions. Et c’est forcément faux. Je suis persuadé qu’une seule et même personne est responsable des deux meurtres et de ce qui est arrivé à Musa.
— Mais il y a une autre possibilité, suggéra Helena. L’homme peut avoir un complice ?
— Oh oui ! On peut aussi imaginer une conspiration de tous les membres de la troupe qui se fourniraient mutuellement des alibis. Après tout, Heliodorus était détesté par tout le monde.
— Mais je devine que tu n’y crois pas, affirma Musa.
— Non. Un homme a été tué pour une raison que nous ignorons toujours. Puis un témoin
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