Dernier acte à Palmyre
lien qui me manquait. Ione m’avait en effet laissé entendre qu’elle en savait plus sur le scribe que tous les autres.
— Il se vantait auprès d’elle de connaître des secrets sur plein de gens. Mais il ne lui a jamais confié grand-chose. Tout juste quelques allusions. Et je me rappelle même plus ce qu’elle a pu m’en dire.
Apparemment, Ribes n’était pas dévoré de curiosité.
— Dis-moi le peu que tu te rappelles, insistai-je…
— Eh bien… Il disait par exemple qu’il tenait Chremes en son pouvoir. Il se moquait de la haine que Congrio éprouvait pour lui. Il était soi-disant copain avec Tranio, mais il y avait quelque chose de bizarre là-dessous…
— Il ne disait rien sur Byrria ?
— Non.
— Sur Davos ?
— Non plus.
— Grumio ?
— Non. Je me rappelle aussi qu’Ione racontait qu’Heliodorus s’était montré épouvantable avec Phrygia. Il avait découvert qu’elle avait eu un bébé dans le temps et qu’elle avait été forcée de le laisser quelque part. Elle donnerait n’importe quoi pour savoir ce qu’il est devenu. Alors Heliodorus lui a fait croire qu’il connaissait quelqu’un qui avait vu l’enfant, mais il a jamais voulu lui apprendre qui c’était, ni où il habitait. Ione m’a dit que Phrygia avait été obligée de lui affirmer qu’elle n’en croyait pas un mot, que c’était la seule façon pour qu’il lui fiche la paix.
Je réfléchissais à toute vitesse.
— Ce que tu m’apprends est intéressant, Ribes, mais je doute que ça puisse avoir un rapport avec le meurtre d’Heliodorus. Ione elle-même m’a bien précisé qu’il avait été tué pour des raisons purement professionnelles. Est-ce que tu sais quelque chose là-dessus ?
Ribes fit non de la tête. Pendant tout le reste du trajet, il me parla d’un chant funèbre qu’il venait de composer à la mémoire d’Ione, et j’usai de toute la persuasion dont j’étais capable pour l’empêcher de me le chanter.
Contrairement à ce que nous avions subodoré, Hippos accueillait les comédiens avec chaleur. Il nous fut très facile de réserver plusieurs dates à l’auditorium. Cependant, aucun sponsor local ne s’étant manifesté, nous devrions nous contenter de la recette de la billetterie. Heureusement, nous vendîmes beaucoup de places ; mais ne sachant pas par qui elles avaient été achetées, nous étions très tendus le soir de la première représentation. Tous les Romains ont entendu parler des violentes échauffourées qui éclatent parfois dans les théâtres de province. Si une telle mésaventure devait nous arriver, Hippos paraissait l’endroit idéal.
La pièce que nous présentions, Les Frères pirates, eut peut-être une bonne influence sur le public. Les spectateurs semblaient d’ailleurs des critiques avertis. Les méchants étaient hués comme il convenait – ils devaient penser qu’ils venaient tous de Tibériade –, et les scènes d’amour soulevaient un vibrant enthousiasme.
Nous donnâmes deux représentations supplémentaires. La Corde ne suscita qu’une indifférence polie, à part la scène de lutte qui fut très appréciée. Les spectateurs étaient encore plus nombreux le jour d’après pour Les Oiseaux. Après un débat houleux, comme d’habitude, Chremes s’était finalement résolu à leur présenter l’œuvre d’Aristophane. Il faut avouer qu’une satire piquante infligée à des gens pleins de suspicion qui tripotent sans arrêt le manche de leur poignard constituait un pari risqué. Mais ils furent conquis par les costumes. Les spectateurs d’Hippos apprécièrent tellement Les Oiseaux qu’à la fin de la représentation, ils envahirent la scène.
Après un moment de panique, nous finîmes par comprendre qu’ils voulaient simplement se joindre à nous. Il s’ensuivit un spectacle fascinant : tous ces hommes au teint sombre, aux longues robes flottantes, se mirent à sautiller joyeusement en notre compagnie pendant une demi-heure. Ils agitaient les coudes pour imiter des battements d’ailes, comme des poulets qui viennent de manger du grain fermenté. Pendant ce temps-là, nous nous tenions un peu raides à l’écart, incertains de la conduite à tenir.
Épuisés, nous nous esquivâmes au cours de la nuit, avant qu’Hippos exige d’autres distractions tirées de notre répertoire.
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Alors que nous approchions de Dium, nous apprîmes que la peste s’y était déclarée. Nous battîmes en retraite au plus
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