Dernier acte à Palmyre
potentiel a été attaqué, et un autre, qui avait l’intention de me révéler le nom du tueur, étranglé. Il s’agit d’une progression tout à fait logique qui nous prouve que nous avons affaire à un assassin solitaire, et essayant seul d’éviter d’être démasqué.
— C’est très confus, se plaignit Helena.
— Non, c’est simple au contraire, la corrigeai-je, soudain sûr de moi. Il y a un gros mensonge quelque part. Forcément. Et pas un mensonge facile à détecter, ou l’un de nous y serait parvenu.
— Alors que peut-on faire pour le découvrir ? demanda Helena. J’avoue que je ne vois pas.
Musa partageait son sentiment de découragement.
— Cet homme est trop habile pour se trahir si nous reposons les mêmes questions une deuxième fois.
— On va tout revérifier, déclarai-je. Chacune de leurs petites histoires. En interrogeant d’autres personnes si possible. Peut-être une mémoire va-t-elle finir par se réveiller ? Si nous les harcelons suffisamment, il va peut-être se passer quelque chose. Et si ça ne suffit pas, il faudra lui tendre un piège.
— Lequel ?
— Je vais trouver.
Il y avait quelque chose de futile dans mon affirmation. J’en étais conscient. Et j’étais surpris que mes compagnons ne me le fassent pas remarquer. Mais peut-être allais-je trouver un moyen de confondre cet homme. En tout cas, plus je réfléchissais à ses crimes, et plus j’avais envie de les lui faire payer.
43
Pour Abila, Chremes choisit une nouvelle pièce, une farce absolument pas drôle sur Hercule que les autres dieux envoyaient remplir une mission sur terre. Le mythe grec dans toute sa splendeur, transformé en grossière satire romaine. Davos jouait Hercule. Tous les comédiens connaissaient leurs rôles, et aucun travail ne fut exigé de moi. Pendant la première répétition, tandis que Davos débitait son texte avec la plus grande assurance en faisant sonner ses graves d’une façon ridicule – il n’avait visiblement aucun besoin des indications de Chremes –, je pris la liberté de demander un entretien privé à notre directeur. Il m’invita à dîner le soir même.
Pendant toute la semaine, le théâtre allait être occupé en soirée par un groupe local, dont les tambours et les harpes s’entendaient de loin. Notre seul choix était donc d’attendre. Le bruit de leur musique m’accompagnait, alors que je traversais le campement pour me rendre à mon invitation. Chremes et Phrygia soupaient tard, et j’étais à moitié mort de faim. Sous ma propre tente, Helena et Musa, qui n’étaient pas conviés, avaient mis un point d’honneur à se goinfrer sous mon nez. Tous les gens que j’apercevais en train de bavarder devant leurs abris précaires avaient déjà avalé leur repas du soir. Légèrement éméchés, ils me saluaient en agitant le gobelet qu’ils tenaient à la main, ou crachaient des noyaux d’olives dans ma direction.
Tout le monde devait deviner où je me rendais et pourquoi, car j’avais ma serviette dans une main et tenais de l’autre le présent traditionnel d’un invité : une amphore de vin. J’avais revêtu ma plus belle tunique, la moins mitée, et avais brossé mes cheveux pour en faire tomber le sable du désert. En longeant l’allée bordée de tentes noires, dressées à la façon nomade, c’est-à-dire formant un angle droit avec la piste, je me sentais le point de mire. Je remarquai au passage que celle de Byrria était plongée dans l’obscurité, et que les jumeaux se trouvaient devant la leur en train de boire avec Plancina. Aucun signe d’Afrania. J’eus la nette impression qu’après mon passage, l’un des deux clowns se leva et vrilla ses yeux dans mon dos.
Quand je me présentai devant la tente du directeur, je sentis le creux s’agrandir dans mon estomac. Chremes et Phrygia se trouvaient au beau milieu d’une de leurs querelles coutumières, et le souper n’était visiblement pas prêt. Ces deux-là étaient vraiment mal assortis. Éclairé par les flammes proches, le visage de Phrygia semblait encore plus tiré et mélancolique que d’habitude. Elle m’apparut comme une très grande Érinye en train de concocter les pires tourments pour les pauvres pécheurs. En me voyant, elle fit mine de se préparer à me nourrir, et je me forçai à me montrer affable, malgré l’accueil peu chaleureux que je venais de recevoir. Fronçant toujours les sourcils, Chremes se pencha pour m’aider à ouvrir l’amphore. Lui
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