Dernier acte à Palmyre
réprimande de Chremes que nous n’avions pas jugé bon de mettre au courant.
Alors, avec les finances de la compagnie de nouveau mises à flot, du moins provisoirement, nous entreprîmes le voyage de Canatha à Damas. Obligés de traverser une région dangereuse, nous devions nous montrer prudents.
— Ce trajet pourrait nous offrir pas mal d’imprévus, murmurai-je à Musa.
— Des bandits ?
Et en effet, nous nous retrouvâmes bientôt entourés de nomades menaçants. Nous fûmes plus surpris que terrifiés. Ils ne mirent pas longtemps à s’apercevoir que nous ne croulions pas précisément sous les paniers d’encens.
Nous chargeâmes Musa – qui put enfin soutenir sa réputation d’interprète – d’aller parlementer avec eux. Adoptant l’attitude solennelle d’un prêtre, il les salua au nom de Dushara et leur promit que nous allions jouer gratuitement pour eux, s’ils nous laissaient poursuivre notre route en paix. Nous lûmes tout de suite sur le visage des pillards qu’on ne leur avait rien proposé de plus drôle depuis que le grand roi de Perse avait tenté de leur faire payer des impôts. Ils s’assirent donc en demi-cercle, et nous leur offrîmes une version abrégée d’Amphitryon, mais avec le serpent. Ce fut naturellement le reptile qui s’attira les applaudissements les plus chaleureux. Une fois la représentation terminée, nous vécûmes un moment difficile quand ils se mirent en tête de nous acheter Byrria. Tandis qu’elle commençait déjà à envisager tristement l’avenir comme concubine étrangère d’un nomade, sans doute battue régulièrement, Musa s’avança vers eux et parut énoncer des propos dramatiques qui, étrangement, déclenchèrent chez eux un concert d’exclamations visiblement ironiques. À la fin, ils se contentèrent de notre python de chiffon et d’une courte leçon de manipulation.
Nous étions enfin prêts à reprendre la route.
— Qu’est-ce que tu as bien pu leur dire, Musa ?
— Que Byrria était une vierge destinée à être sacrifiée à la Haute Place.
Byrria lui décocha un regard encore plus meurtrier que celui dont elle avait gratifié les nomades.
Nos ennuis suivants nous furent procurés par une bande de chrétiens. Des nomades volant nos décors, c’était quelque chose que nous pouvions comprendre, mais pour des âmes libres romaines, devenir membre d’une telle secte était un véritable outrage. Ils s’étaient éparpillés au milieu de la route, nous laissant le choix de quitter le chemin pour les contourner, ou d’entrer en conversation avec eux. Rien qu’en les voyant sourire, exprimant le plaisir qu’ils avaient à nous rencontrer, je sus qu’il fallait nous méfier de ces pauvres fous.
— Qui est-ce ? demanda Musa, surpris par leur attitude.
— Des dingues qui se rencontrent secrètement pour partager des repas en l’honneur d’un dieu unique.
— Un seul dieu ? C’est peu.
— Comme tu dis. Remarque, c’est leur problème, et on pourrait les ignorer… L’ennui, c’est qu’ils ont de mauvaises manières politiques : ils refusent de respecter l’empereur.
— Et toi, Falco ? Tu respectes l’empereur.
— Bien sûr que non. (Même si je travaillais souvent pour ce vieil avare, j’étais républicain dans l’âme.) Mais j’évite de le peiner en m’en vantant publiquement.
Quand la conversation de ces fanatiques aborda le sujet de la vie éternelle qu’ils souhaitaient nous offrir, nous leur flanquâmes une bonne volée et reprîmes la route en les laissant gémir.
Avec la chaleur qui devenait de plus en plus étouffante, et ces pénibles interruptions, il nous fallut trois étapes pour atteindre Damas.
52
En raison de ces divers contretemps, nous nous étions regroupés au hasard. C’est ainsi que Tranio s’était retrouvé près de mon chariot, alors que pour une fois, Grumio était resté quelque peu en arrière. Je me trouvais seul, car Helena était allée passer un moment avec sa nouvelle amie Byrria, en emmenant Musa avec elle. C’était donc une chance à ne pas manquer.
— Qui pourrait avoir envie de vivre aussi longtemps, je vous le demande ! s’exclama le clown, faisant référence aux chrétiens que nous venions juste de remettre à leur place.
Il fit cette remarque avant de voir qui était dans le chariot.
— Je pourrais prendre ça comme un aveu ! lançai-je sans perdre de temps.
— Quel genre d’aveu, Marcus Didius ?
S’il y a quelque chose que je
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