Dernier acte à Palmyre
la soirée. Elle paraissait observer nos manières d’un œil curieux, comme si c’était elle l’étrangère et non Musa.
— La dernière fois, tu avais refusé de me répondre… Pourquoi aujourd’hui ?
— La dernière fois, je n’avais pas envie d’être interrogée comme si j’étais une criminelle. Aujourd’hui la situation est différente : je me trouve avec des amis.
Venant de sa part, il s’agissait là d’un grand compliment.
— Que s’est-il passé exactement ?
— Juste au bon moment – pour moi ! –, Grumio est arrivé. Il venait demander quelque chose à Heliodorus, je ne sais plus quoi, un manuscrit… une pièce de théâtre, je suppose. Mais il a tout de suite obligé cette brute à se relever, et j’ai pu m’enfuir. À ce moment-là, c’est tout ce qui comptait pour moi. J’espère que tu ne vas pas m’annoncer que Grumio est ton suspect numéro un ?
— Les jumeaux ont des alibis. Du moins pour le meurtre d’Ione. Grumio en particulier. J’ai vu moi-même à quoi il était occupé ce soir-là. D’un peu trop près, même. À Pétra, quand le scribe a été assassiné, ils se trouvaient soi-disant dans leur chambre à préparer leurs bagages. Ils se rendent peut-être mutuellement service.
— Oh ! je ne crois pas qu’ils s’aiment à ce point-là ! s’exclama Byrria d’un air surpris.
— Qu’est-ce que tu veux dire ? s’empressa de demander Helena. Ils passent tout leur temps ensemble. Y aurait-il une rivalité entre eux ?
— Pour sûr, affirma la comédienne. (Après un bref instant d’hésitation, elle ajouta :) Tranio est meilleur comédien, mais Grumio pense que c’est uniquement parce qu’il a de meilleurs rôles. D’un autre côté, Grumio est beaucoup plus doué pour improviser. Il est capable de rassembler une foule autour de lui dans la rue en un rien de temps… Pourtant, il ne le fait plus beaucoup.
— Est-ce qu’il leur arrive de se disputer ? intervint Musa.
Exactement la question directe que je m’apprêtais à poser.
— Ça leur arrive de temps en temps, lui répondit-elle avec un large sourire qui lui avait probablement échappé, mais qui n’échappa pas au prêtre.
Puis je crus voir Byrria rougir, mais peut-être était-ce dû à la chaleur du feu… J’avais sans doute un air préoccupé, car elle ajouta :
— Est-ce que tu y vois plus clair, Falco ?
— Pas vraiment. Mais grâce à toi, j’ai tout de même trouvé un moyen d’approcher les clowns. Merci, Byrria.
Il était assez tard. Demain il faudrait reprendre la route pour Canatha. Tout autour de nous, le reste du campement était progressivement devenu silencieux. Beaucoup de gens dormaient déjà. Il était temps de se dire au revoir. J’avais renoncé à assortir ces deux étranges oiseaux.
Helena bâilla élégamment, mais d’une façon significative. Puis elle se mit à rassembler les plats avec l’aide de Byrria. Musa et moi nous concentrâmes sur ce qu’on attendait des hommes : tisonner le feu et finir les olives. Quand la jolie comédienne nous remercia pour le dîner, Helena se crut obligée de lui présenter des excuses :
— J’espère que tu ne nous en veux pas trop de t’avoir taquinée.
— Taquinée ? parut s’étonner Byrria avec un sourire amical.
Elle était incroyablement belle. Et en la voyant aussi détendue, on réalisait mieux qu’elle avait tout juste vingt ans. Manifestement, elle avait passé une bonne soirée, et nous devions nous contenter de cette satisfaction. Pour une fois, elle avait l’air vulnérable. Du coup, Musa paraissait plus adulte, presque son égal.
— Tu as raison, Byrria, ajouta Helena après s’être léché les doigts qui avaient trempé dans la sauce, mène ta vie comme tu l’entends. Mais il est important de se trouver de bons amis et de les garder.
Et, sans doute pour ne pas paraître grandiloquente, elle alla déposer la vaisselle sale dans la tente.
Le sujet ne m’apparut pas clos pour autant.
— Je suis d’accord avec toi, Helena, mais elle ne devrait pas avoir peur à ce point de tous les hommes !
Son bouillant tempérament reprit tout de suite le dessus.
— Je n’ai peur de personne ! rétorqua-t-elle d’un ton acerbe. (Mais cette vive réaction fut de courte durée. Reprenant une voix normale, elle ajouta :) J’ai peut-être peur des conséquences, ça oui.
— C’est très raisonnable, intervint Helena qui était revenue près de nous. Pense à Phrygia, dont la vie entière a été
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