Dernier acte à Palmyre
établi les principes de l’édification des villes, aurait vomi son dîner en voyant le résultat ici.
C’était complètement chaotique, envahi par une forêt de colonnes soutenant des auvents de toile, et dans la chaleur lourde qui s’accumulait en dessous quand le soleil atteignait son zénith, les marchands officiaient depuis des locaux construits en dur. En outre, nombre d’étals illégaux s’entassaient un peu partout et encombraient la plus grande partie de la rue. Un édile romain en aurait attrapé une crise d’apoplexie. Organiser cet extravagant fourbi s’avérait totalement irréalisable. Dès l’aube, il devenait impossible de circuler, les gens se plantant solidement au milieu de la rue pour y tenir de longues palabres.
Abasourdis par le bruit, nous avancions groupés, une main sur notre bourse, en jouant des épaules pour nous frayer un chemin. De bonnes odeurs d’épices flottaient jusqu’à nos narines, et nous étions souvent éblouis par le soleil qui éclaboussait les colifichets clinquants en vente partout. Nous évitions parfois de justesse des ballots de fins tissus transportés sans aucune précaution. Nous restâmes bouche bée devant les énormes quantités d’éponges, de bijoux, de figues, de gâteaux de miel, de vaisselle, de chandeliers… Nous comptâmes sept variétés de noix et admirâmes les merveilleux coloris de la poudre de henné. Nous faillîmes nous faire écraser plusieurs fois contre les murs par des hommes tirant des charrettes à bras. Nous nous en tirâmes avec quelques meurtrissures. Des membres de notre groupe qui avaient repéré une bonne affaire ne tardèrent pas à se noyer dans la foule et à paniquer.
Nous dûmes parcourir toute la longueur de cette rue chaotique, car le théâtre réservé par Chremes se trouvait à l’autre extrémité, au sud, tout près de la porte de Jupiter. Il était tout proche des marchands de vêtements d’occasion, un quartier que les gens avaient l’honnêteté d’appeler le marché aux puces.
Puisque nous allions avoir l’honneur de jouer dans le théâtre monumental construit par Hérode le Grand, nous n’allions pas nous formaliser pour quelques petites puces.
Nous ne parvînmes jamais à découvrir comment Chremes avait réussi ce superbe coup. Pour se venger de nous, qui critiquions souvent ses qualités d’organisateur, il refusa tout net de nous le dire.
De toute façon, cela cessa de nous préoccuper quand nous commençâmes à vendre les billets pour la représentation. Nous nous étions d’abord renseignés sur les prix pratiqués à Damas, ce qui nous avait singulièrement remonté le moral. Et, malgré ces tarifs élevés, pour une fois, nous n’eûmes aucun mal à remplir l’auditorium. Dans cette ruche bourdonnante, où les gens semblaient passer leur temps à acheter ou à vendre, ils tendaient leur argent sans se préoccuper de ce qu’on allait leur jouer. Ils se croyaient tous très doués en affaires et âpres au gain, mais quand il ne s’agissait plus de leur spécialité, ils devenaient des proies faciles. Des courtiers, qui souhaitaient impressionner leurs clients, achetèrent des billets pour leurs invités sans demander non plus ce qu’ils allaient voir. L’hospitalité commerciale est une merveilleuse invention.
Pendant plusieurs jours, nous pensâmes tous que Damas était une ville merveilleuse. Puis, à mesure que certains membres de la compagnie réalisaient qu’ils s’étaient fait gruger par les cambistes, que d’autres s’étaient fait soutirer leur bourse dans une venelle, notre enthousiasme se modéra. Moi-même, un matin que je me baladais, j’eus envie d’acheter une grande quantité de myrrhe que j’avais l’intention de rapporter à ma mère. Quand Musa la renifla, un peu plus tard, il m’assura que ce n’était que du bdellium, une gomme beaucoup moins aromatique – normalement vendue à un prix beaucoup moins aromatique. Je retournai immédiatement voir l’homme qui me l’avait vendue et qui, bien sûr, avait disparu.
Le théâtre étant à notre disposition pour trois soirs, Chremes avait décidé d’offrir au public ce qu’il considérait comme les joyaux de notre répertoire, Les Frères pirates , puis une farce mettant en scène des dieux fornicateurs, et enfin La Fille de Mykonos. Cette dernière œuvre avait été rafistolée par Heliodorus peu de temps avant sa mort. À mon avis, si on ne l’avait pas assassiné, il aurait dû mourir de
Weitere Kostenlose Bücher