Dernier acte à Palmyre
m’écouta tout en essayant de les démêler.
— Toi et moi, on mène une vie très étrange. Il m’arrive parfois de penser que si je me conduisais avec toi comme tu le mérites, j’éviterais de te mettre dans des situations pareilles.
Elle me répondit par un léger haussement d’épaules. Elle savait toujours se montrer très patiente avec mes désirs intempestifs de lui offrir une vie plus conventionnelle. Et elle accueillait toujours ma pomposité avec un sourire narquois.
— Je mène une vie intéressante auprès d’un homme intéressant.
— Merci ! dis-je, obligé d’en rire. (Elle parvenait toujours à me surprendre.) Mais ça ne va pas durer toujours.
— Non, acquiesça-t-elle très sérieusement. Un jour, tu seras un bureaucrate de rang moyen qui changera de toge tous les jours. Tu parleras de la situation économique au petit déjeuner et tu te contenteras de quelques feuilles de salade pour déjeuner. Moi je resterai à la maison à vérifier les notes de blanchisserie, le visage recouvert de deux doigts de farine.
Cette fois, je parvins à me retenir de rire.
— Je suis content que tu sois d’accord. Je croyais que tu allais me créer des difficultés à propos de mes projets d’avenir.
— Je ne cherche jamais à te créer de difficultés, Marcus.
Je réussis à ne pas rire, mais difficilement ! Elle ajouta pensivement :
— Est-ce que tu as le mal du pays ?
C’était probablement ce que je ressentais, mais elle savait pertinemment que je ne l’admettrais jamais.
— Je ne peux pas encore envisager de rentrer à la maison. Je n’ai pas terminé mon enquête.
— Et comment te proposes-tu de la terminer ?
Sa foi en moi apparaissait inébranlable !
Heureusement, j’avais réfléchi au moyen de mettre un point final à l’une des deux investigations que je menais de front. Indiquant de la main le mur d’une maison toute proche, j’attirai son attention sur ma subtile trouvaille. Helena Justina lut attentivement.
— Congrio écrit de mieux en mieux, constata-t-elle.
— Il a un excellent professeur. Il m’a dit que tu lui apprenais à lire le grec…
Il avait écrit son affiche habituelle pour annoncer notre représentation de La Corde le soir même. À côté, il avait ajouté :
Message urgent pour le Habib qui a visité Rome : demande à parler à Falco au théâtre d’Hérode pour ton propre bénéfice ; le plus tôt sera le mieux.
— Tu crois qu’il va répondre ? demanda Helena, plutôt sceptique.
— Sans aucun doute.
— Comment peux-tu en être si sûr ?
— Thalia a précisé que c’était un homme d’affaires. Il va penser qu’on lui offre de l’argent.
— Bien joué ! commenta-t-elle.
54
Si les nombreux spécimens dénommés Habib qui demandèrent à parler à Falco au théâtre d’Hérode étaient variés, ils étaient tous aussi sordides. J’avais assez d’expérience dans le métier pour ne pas en être surpris. Ils eurent droit chacun à plusieurs questions auxquelles ils pouvaient répondre avec un peu d’imagination, puis quand ils commençaient à se détendre, c’était le piège :
— As-tu visité la ménagerie impériale sur l’Esquilin ?
— Oh oui !
— Très intéressant. (Malheureusement pour eux, la ménagerie se trouvait en dehors de la ville, près du camp des Prétoriens. Même à Rome, de nombreux habitants l’ignoraient.) Arrête de me faire perdre mon temps avec des mensonges. Disparais !
Ils finissaient par comprendre et m’envoyaient des amis dûment chapitrés. À la question piège, ils répondaient naturellement : « Oh non ! » L’un d’eux essaya même de me mystifier en déclarant : « P’t-être ben que oui, p’t-être ben que non… »
Puis, au moment même où je craignais que mon idée ait fait long feu, elle donna enfin des résultats. Le troisième soir, alors que nous étions plusieurs à avoir offert notre aide bénévole pour les costumes, nous étions en train de déshabiller les musiciennes pour leurs rôles dévêtus dans La Fille de Mykonos, quand au moment crucial, on vint me prévenir que j’avais un visiteur. J’abandonnai donc mes plaisirs d’esthète pour obéir à mon devoir.
L’avorton susceptible de m’aider à retrouver Sophrona était vêtu d’une longue chemise rayée, et une immense ceinture de corde s’enroulait plusieurs fois autour de son corps malingre. Il avait des yeux inexpressifs et l’air à moitié endormi. Des touffes de cheveux fins étaient
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