Dernier acte à Palmyre
honte. Il s’agissait d’une comédie libertine destinée aux marchands venus faire la nouba dans la grande ville sans leurs femmes. Grumio tombait des échelles comme il savait si bien le faire, Byrria exécutait une danse lascive – habillée – au cours d’une scène où elle prétendait être folle, et toutes les filles de l’orchestre dansaient les seins à l’air – Plancina demanda d’ailleurs une prime après s’être coincé un mamelon dans ses castagnettes.
Le choix de Chremes provoqua de nombreux grognements. Cet homme paraissait incapable de humer une atmosphère. Nous étions tous persuadés que ces pièces ne convenaient pas au public de Damas. Finalement, menée par moi, leur expert littéraire, toute la troupe se rendit auprès de lui pour mettre les choses au point. Nous acceptâmes La Fille de Mykonos, qui aurait forcément du succès dans ce genre d’endroit, mais nous refusâmes catégoriquement les deux autres. Un vote populaire les remplaça par La Corde, dont les bagarres suscitaient toujours un vibrant enthousiasme du public, et une autre œuvre qui mettait en valeur le talent de Davos dans le rôle d’un soldat fanfaron. Philocrates y avait un tout petit rôle, mais il ne fut pas en mesure de protester car il restait terré dans sa tente après avoir repéré une femme qu’il avait séduite lors de notre passage à Pella. Il faut dire qu’elle était en compagnie d’un grand costaud qui semblait vraiment avoir un compte à régler avec quelqu’un.
— Tous les chemins mènent à Damas, c’est ça le problème !
— Et ils en repartent aussi, me rappela Helena. Dans trois jours, pour être précise. Alors qu’est-ce qu’on va faire, Marcus ?
— À vrai dire, j’en sais rien. Mais on n’est pas venus en Orient pour passer le reste de nos jours avec une troupe de théâtre minable. On gagne assez d’argent pour vivre, mais pas assez pour nous arrêter et prendre des vacances. Et surtout, on n’a même pas gagné assez pour payer notre voyage de retour si Anacrites ne le prend pas en charge.
— Ces dépenses-là, Marcus, je peux les assumer, déclara Helena.
— Imagine dans quelle position ça me mettrait !
— Je trouve que tu en fais un peu trop.
— Entendu, je te laisserai payer. Mais je voudrais au moins qu’une de mes deux enquêtes aboutisse avant notre départ.
Nous partîmes à travers les rues, et sans la moindre remarque elle accepta mon bras. La plupart des femmes de son rang social se seraient retrouvées paralysées par l’horreur, rien qu’à l’idée d’affronter les foules bruyantes peuplant cette métropole étrangère, sans litière ni gardes du corps. Et d’ailleurs, son attitude lui valait beaucoup de regards soupçonneux de la part de nombreux citoyens de Damas. Pour une fille de sénateur, Helena faisait toujours preuve d’un sens étrange des convenances : si j’étais à son côté, elle était satisfaite de tout, jamais embarrassée ni effarouchée.
L’importance de la ville de Damas et l’animation qui y régnait me rappelaient certaines règles que nous avions laissées derrière nous à Rome – règles qu’Helena transgressait aussi là-bas délibérément, mais du moins étions-nous à la maison. À Rome, la conduite scandaleuse des femmes et filles de sénateurs était un phénomène de mode. Le plaisir de causer d’affreux embarras aux mâles de la famille servait d’excuse à tout. Les mères considéraient que leur devoir était d’élever leurs filles pour en faire des rebelles. Les filles se faisaient un plaisir d’obéir : elles se jetaient alors à la tête des gladiateurs, rejoignaient des sectes bizarres, ou allaient même parfois jusqu’à devenir des intellectuelles. Par comparaison, les vices que les garçons avaient à leur disposition paraissaient bien anodins.
Nonobstant, quitter la maison pour vivre avec un détective privé était un acte plus choquant que tous les autres. Helena Justina avait bon goût en ce qui concernait les hommes, c’était un fait, mais cette jeune femme était peu commune. Il m’arrivait parfois d’oublier à quel point.
Je m’arrêtai à un coin de rue pour l’observer. J’avais passé un bras autour de sa taille et la tenais serrée contre moi pour la protéger. Elle rejeta la tête en arrière pour me regarder à son tour d’un air interrogateur. Le châle qui lui recouvrait les cheveux glissa, et les franges s’accrochèrent dans ses boucles d’oreilles. Elle
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