Dernier acte à Palmyre
réduite à une seule voie à l’aspect inquiétant. Les rochers se rejoignaient presque au-dessus de nos têtes. Puis la gorge s’élargit et nous pûmes admirer la façade du Grand Temple éclairée par le soleil. Au lieu de manifester son admiration, Helena déclara à voix basse :
— On a entrepris ce voyage pour rien. Ils pourraient poster cinq hommes pour garder l’entrée de la ville et empêcher toute une armée d’y pénétrer !
En émergeant des rochers, nous nous étions arrêtés devant le temple comme nous en avions l’intention. Tant de beauté m’avait laissé bouche bée. Quand je parvins à reprendre mes esprits, je déclarai :
— Je pensais que tu allais dire : « Eh bien, Marcus, si tu ne m’as jamais montré les Sept Merveilles du Monde, du moins m’as-tu amenée devant la Huitième ! »
Seul le silence me répondit, et nous restâmes un long moment sans parler.
— J’aime la déesse dans le pavillon rond, entre les frontons cassés, finit par dire Helena.
— Que crois-tu qu’il y ait dans le grand globe au-dessus du pavillon ?
— De l’huile pour le bain.
— Ça tombe sous le sens !
Au bout d’un moment, Helena en revint à son raisonnement précédent, interrompu par la soudaine découverte de ce fabuleux spectacle.
— Donc Pétra est construite dans une enclave montagneuse. Mais est-ce qu’il existe d’autres entrées ? J’ai bien l’impression que non.
Par Jupiter, elle avait de la suite dans les idées ! C’est elle qui méritait d’être payée par Anacrites, pas moi.
Quelques Romains parviennent à traiter leurs femmes comme des ornements sans la moindre importance, mais je savais que ce n’était pas une situation envisageable dans mon cas. Je répondis donc calmement :
— C’est du moins l’impression que les Nabatéens cherchent à donner aux visiteurs. Maintenant, chérie, admire les imposantes sculptures taillées à même la paroi rocheuse, et tâche de faire croire aux curieux que tu n’es venue de ce côté-ci de la montagne que pour le plaisir d’acheter une paire de boucles d’oreilles indiennes et un coupon de soie turquoise.
— Essaye de ne pas me confondre avec les triviales petites amies qui m’ont précédée, s’il te plaît ! s’exclama-t-elle, soudain face à moi comme si elle voulait me mordre. (À ce moment-là, repérant comme moi un Nabatéen qui dévisageait les passants à la recherche de visages suspects, elle se rendit enfin à mes raisons.) Oui, je vais peut-être en acheter une balle à l’état naturel, mais tu peux me faire confiance ! Dès qu’on sera de retour à la maison, je la décolorerai en blanc…
Et ainsi fut joué le tour. Faciles à berner, ces pauvres gardes ! Ou alors c’étaient des sentimentaux incapables d’arrêter un mari visiblement dominé par sa femme.
La veille, j’avais manqué de temps pour essayer de comprendre l’origine de l’emportement d’Helena. Alors que nous nous hâtions vers la ville, en suivant le chemin de terre longeant les tombes creusées dans le roc et des temples, je me demandais avec nervosité combien de temps nous parviendrions à passer pour d’innocents voyageurs. Nous fûmes frappés de voir des jardins partout alors que nous nous trouvions dans le désert. Les Nabatéens disposaient de nombreuses sources et parvenaient à retenir et à conserver l’eau de pluie. Pour des gens si proches de leurs racines nomades, c’étaient des ingénieurs étonnants. Il n’empêche que nous nous trouvions dans le désert. Nous avions reçu une averse au terme de notre voyage, et nos vêtements s’étaient trouvés recouverts d’une fine poussière rouge. Et quand nous nous coiffâmes, nous découvrîmes que du sable noir s’était infiltré jusque sur notre cuir chevelu.
Au bout de la piste, se dressait une agglomération constituée de belles maisons et de monuments publics imposants. Au-delà, on pouvait voir un enchevêtrement d’habitations réservées aux gens de moindre condition : des espèces de cubes entourés de murs qui délimitaient une cour. J’avais trouvé à nous loger, à un prix qui indiquait clairement que les habitants de Pétra connaissaient la vraie valeur d’une chambre au milieu du désert. Ensuite, je passai la soirée à examiner les remparts au nord puis au sud de la ville. Ils n’avaient rien de redoutable, car les Nabatéens avaient toujours préféré signer des traités plutôt que de résister manu militari aux hostilités. En
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