Dernier acte à Palmyre
voir me bagarrer avec notre bœuf récalcitrant, elle avait sauté dans un autre chariot. Ainsi, nous avions réussi à bavarder avec tous les membres de la compagnie – quant à savoir si nous avions également réussi à éveiller leur sympathie, c’était beaucoup plus difficile à dire.
Je m’étais déjà formé ma petite opinion sur la troupe. Nous allions devoir composer avec une bande d’individus à l’esprit retors, et il nous serait impossible d’en épingler un à moins d’agir avec la plus grande logique.
Nous cherchions le mobile que chacun d’entre eux aurait eu de tuer Heliodorus – sans exclure les femmes.
— C’est un homme qui l’a tué, avais-je discrètement rappelé à Helena. Tu l’as entendu comme moi sur la montagne. Mais sans être particulièrement cynique, on peut imaginer que le motif lui a été fourni par une femme.
— Elle peut aussi avoir acheté le vin et conçu le plan, avait acquiescé la fille du sénateur, imperturbable, comme si elle-même accomplissait régulièrement ce genre de forfait. Mais pour quelle raison, d’après toi ?
— Pas l’argent, je ne pense pas. Personne ici n’en possède suffisamment. Alors il ne nous reste que les bons vieux mobiles : l’envie ou la jalousie sexuelle.
— Il faut donc qu’on demande à tous ce qu’ils pensaient de leur auteur maison ? Ils vont finir par trouver nos questions bizarres, tu ne crois pas, Marcus ?
— Toi qui es une femme, tu peux te montrer curieuse sans qu’on trouve ça étrange. De toute façon, pour animer un peu les débats, je vais les informer que le meurtrier est forcément quelqu’un de la troupe et que j’ai peur pour toi.
— Foutaises ! s’exclama ma princesse – une des expressions imagées qu’elle avait apprises de ma bouche.
Nous étions maintenant installés sur un tapis devant notre tente – en compagnie de Musa, comme toujours, et, comme toujours, il était accroupi à quelque distance de nous. Muet lui-même, il nous écoutait calmement. N’ayant rien à lui cacher, nous nous entretenions en grec.
— Bon, reprenons la liste des comédiens. Chacun a l’air d’avoir le physique de l’emploi, mais je suis certain que ce n’est qu’une apparence…
Comme il se devait, nous avions inscrit Chremes en tête. En nous encourageant à mener notre petite enquête, il pouvait tout simplement espérer s’affranchir du rôle de suspect. Je récapitulai ce que nous avions déjà appris sur lui :
— Chremes dirige cette compagnie. C’est lui qui recrute les membres, choisit le répertoire, négocie les cachets, garde la cagnotte sous son matelas, si cagnotte il y a. Il a tout intérêt à ce que les choses se passent normalement, sans heurts. Il faudrait qu’il ait une raison vraiment sérieuse pour compromettre l’avenir de son théâtre ambulant. Il a tout de suite compris que le cadavre découvert à Pétra pouvait tous les expédier en prison. Sa priorité a donc été de leur faire quitter la ville le plus vite possible. D’un autre côté, on a appris qu’il détestait Heliodorus. Reste à savoir pourquoi.
— Heliodorus n’était pas un type intéressant, affirma impatiemment Helena.
— Alors pourquoi Chremes ne l’a-t-il pas congédié ?
— Parce qu’il était difficile à remplacer, affirma-t-elle. Les adaptateurs de pièces ne courent pas les pistes du désert.
Elle garda la tête penchée pendant toute sa tirade que je ponctuai d’un grognement. Éplucher la collection de Nouvelles Comédies du trépassé m’ennuyait à mourir. Ces pièces étaient aussi sinistres que Chremes l’avait annoncé. Je n’en pouvais déjà plus des jumeaux séparés, des amants qui se cachaient dans les coffres à linge, des vieillards ridicules se disputant avec leurs héritiers ignares, des esclaves malicieux plaisantant lourdement.
Il était préférable de changer de sujet.
— Chremes déteste sa femme, et c’est réciproque. On ignore encore pourquoi. Peut-être avait-elle un amant – pourquoi pas Heliodorus ? Et Chremes s’est débarrassé de son rival.
— Ça ne tient pas debout ! ironisa Helena. J’ai discuté avec elle. Elle n’a qu’une seule envie : devenir célèbre en interprétant des tragédies grecques. Elle ne supporte plus d’avoir à jouer des héritières qu’on recherche, ou des prostituées, au sein de cette troupe minable.
— Pourquoi ? C’est toujours les héritières ou les prostituées qui ont les plus jolies robes. Sans
Weitere Kostenlose Bücher