Dernier acte à Palmyre
l’échiquier politique mondial. Et du même coup, les vaniteux citoyens de Pétra seraient remis à leur place. Cette brillante théorie n’avait naturellement rien à voir avec le fait que je venais de me faire expulser de Pétra. Simplement, j’avais toujours été persuadé que quand on reprend une entreprise, la première action à accomplir est de changer le personnel et de gérer l’affaire à sa façon avec des assistants loyaux.
Sans doute cette théorie ne serait-elle pas mise en pratique de mon vivant, mais la fignoler occupait mes pensées quand j’en avais trop marre de lire des comédies.
Abandonnant loin derrière nous la redoutable barrière de montagnes qui encercle Pétra, nous avions atteint un terrain plus plat. De tous côtés, le désert s’étendait jusqu’à l’horizon. Quelqu’un nous assura cependant que ce n’était pas un vrai désert comparé à certaines étendues sauvages d’Arabie, ou à celles situées au-delà de l’Euphrate. À la vérité, ce désert-ci était suffisamment aride pour mon goût. Nous avions le sentiment de traverser un pays très très ancien ; une terre sur laquelle divers peuples s’étaient succédé comme des vagues au cours des siècles, et continueraient de le faire jusqu’à la fin des siècles, en temps de guerre ou en temps de paix ; une terre pour laquelle notre insignifiant voyage ne comptait pas. Il était impossible de dire si les tombes des nomades, petits cairns de pierres biscornus qui bordaient parfois la route, dataient de la semaine précédente ou de plusieurs milliers d’années.
Graduellement, le paysage rocailleux changeait. Les blocs de rochers cédèrent la place à des pierres qui furent remplacées par des cailloux plus petits. Vint ensuite un sol arable riche et sombre, qui donnait naissance à des champs de blé, à des vignes et à des vergers. Les Nabatéens conservaient le peu d’eau de pluie qu’ils recevaient grâce à un système de terrasses basses de chaque côté des oueds ; entourées de murs espacés d’une cinquantaine de pieds, elles retenaient les surplus d’eau. Le résultat apparaissait efficace. Ils cultivaient du blé et de l’orge. Ils récoltaient des raisins et des olives pour fabriquer du vin et de l’huile, des figues, des dattes et des grenades, et toute une variété de noix dont les plus populaires étaient les amandes.
L’atmosphère avait complètement changé. Au lieu des longues tentes nomades qui faisaient penser à des chenilles, se dressaient des maisons de plus en plus jolies, toutes entourées de jardins. Des ânes et des chèvres attachés à des piquets remplaçaient les bouquetins en liberté et les lapins sauvages.
Dès notre arrivée à Bostra, nous étions censés rencontrer les membres manquants de la troupe de Chremes. Ceux avec lesquels nous venions d’accomplir ce long trajet, et qui étaient vainement allés tenter leur chance à Pétra, constituaient le noyau de la compagnie. Divers parasites qui gravitaient autour d’eux – et la plupart de leurs accessoires de théâtre – étaient restés au nord – au cas où l’accueil ne leur aurait pas été favorable dans les montagnes. Ceux-là, je pouvais les ignorer en ce qui concernait le meurtre et concentrer mes efforts sur le premier groupe.
Au début de notre voyage, j’avais demandé à Chremes :
— Enfin, pourquoi Heliodorus a-t-il éprouvé le besoin d’aller faire cette promenade à un pareil moment ?
Ce détail me turlupinait vraiment.
— Oh ! il avait l’habitude de partir le nez au vent, avait-il répliqué. Et c’est ce que font aussi tous les autres. Des esprits libres !
— Est-ce que ça pourrait être parce qu’il avait envie de boire dans un coin tranquille ?
— Ça, j’en doute ! s’était exclamé le chef en haussant les épaules.
Il ne faisait aucun effort pour cacher que cette mort le laissait plutôt indifférent.
— Et puis, de toute façon, il n’était pas seul. Quelqu’un l’a accompagné. C’était qui ?
Je demandais tout simplement le nom de l’assassin, alors je n’attendais pas vraiment de réponse.
— Personne n’en sait rien.
— Il ne manque aucun autre membre de ta troupe ?
Inutile de préciser qu’il fit non de la tête. J’avais pourtant l’intention de faire les recoupements qui s’imposaient afin de vérifier son affirmation.
— Quelqu’un d’autre a pu avoir envie de boire aussi un petit coup ? avais-je insisté.
— Ce quelqu’un
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