Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
Vom Netzwerk:
l’heure, la minute et la seconde où nous avions bu… Je fus appelé le quatrième et sus qu’il était 18 heures 13 minutes et 7 secondes à la montre du sous-officier. Je craignais que, sevrés d’alcool depuis si longtemps, nos organismes dénutris et nos estomacs atrophiés supportassent mal deux centimètres cubes de cognac. Crainte superflue. Ce cognac était si dépourvu de saveur que je susurrai à l’oreille de François Wetterwald, ultime dégustateur :
    — « N’aie pas peur, ce n’est que de l’eau ! »
    — Cinq claquements de talon, et la comédie prenait fin. Mais quand nous nous trouvâmes réunis dans notre dortoir, je me payai la tête de mes acolytes qui, impressionnés sans doute par la pompe de la cérémonie, ne s’étaient aperçus de rien. Il s’ensuivit de bruyants éclats de rire qui attirèrent l’attention de Kreindl déambulant dans les couloirs. Il ouvrit brusquement la porte et, d’un signe de l’index, convoqua Aloïs, le pharmacien. Nous perçûmes des paroles peu amènes et les bribes d’un dialogue véhément. Aloïs revint décomposé. Menacé des pires sanctions (il craignait surtout qu’on ne lui arrachât ses dents en or, et sa mâchoire supérieure était totalement aurifiée), il n’avait pas hésité à me « donner ».
    — « C’est Debrise qui a déclenché notre hilarité, herr Unterscharführer, en osant prétendre que vous nous aviez fait boire de l’eau. »
    — Ne pouvant accepter ni qu’un détenu se fût permis d’émettre une opinion personnelle, ni que les générosités du Reich fussent tournées en dérision, Kreindl avait chargé Aloïs de me prévenir que j’« allais voir ce que j’allais voir », après que son enquête m’eut confondu… En attendant, le personnel médical se trouvait dans de beaux draps. La fureur succédant à la terreur, Aloïs me décocha une kyrielle d’injures où Debrise, les Français et la France, fourrés dans le même sac, en prenaient pour leur grade… Rien ne transpira de ce qui s’ourdissait en coulisse, et le visage de Kreindl restait impénétrablement crispé… Quelque quinze à vingt jours plus tard, nous fûmes, après l’appel du soir, reconvoqués ex abrupto dans son bureau et, calquée sur la précédente, se déroula avec la rigueur d’un rite, une nouvelle cérémonie de dégustation : registre, bouteille de cognac espagnol, verre miniature, garde-à-vous, rang d’oignons, remise du bon, signature, minutage. Mais cette fois m’échut l’honneur d’être appelé le premier. Je bus. C’était un breuvage alcoolisé. Kreindl me regardait droit dans les yeux :
    — « Avez-vous une remarque à formuler ? »
    — Ce fut de sa part la seule allusion au drame. Je répondis simplement :
    — « Kein wasser (ce n’est pas de l’eau). »
    — Kreindl ne laissa pas filtrer le moindre sourire. Nous devions apprendre par la suite – tout finit par se savoir dans un camp de concentration – que l’épicier d’Ebensee, convaincu d’escroquerie, purgeait sa peine à la prison municipale. Je l’avais échappé belle…
    — L’unterscharführer Kreindl était taillé tout d’une pièce : c’était l’image même de la cruauté froide et résolue. Je ne le vis s’échauffer qu’une fois, et, par malchance, servant de prétexte à cet échauffement, j’en fus également la victime ; j’en porte encore les stigmates.
    — Kreindl possédait une remarquable maîtrise de soi ; et, sauf pendant son intermède de folie furieuse, je ne l’ai jamais entendu hausser le ton. Sur son visage de glace aux traits tendus, jamais l’ébauche d’un sourire. Il jouait parfaitement, intégralement, imperturbablement son rôle de tortionnaire dépourvu de toute nuance d’humanité. La distinction naturelle de ce modeste artisan – il tenait un salon de coiffure à Linz – était étonnante : toujours propre, élégant, cosmétiqué, raffiné, toujours ganté de peau. Et que de tact dans le mouvement discret, à peine un geste, de son index gauche ganté qui désignait, sans appel, un homme pour la mort ! Sa politesse était exquise. Lors de ses tournées dans les salles du Revier, il nous posait des questions pertinentes à propos des patients, s’intéressait à nos explications médicales, nous écoutait avec une déférente attention : on croyait avoir marqué un point, avoir provisoirement sauvé un camarade… Kreindl nous remerciait puis, « pile ou

Weitere Kostenlose Bücher