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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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suivante et ainsi de suite, deux fois encore jusqu’à ce que nous soyons vus par un des travailleurs qui se met à gueuler en criant au sabotage et en appelant à l’aide surveillants et contremaîtres.
    — Nous n’avons pas demandé notre reste et, courant à toute allure, nous réintégrons notre tunnel d’origine poursuivis par S.S. et kapos. Rapidement, nous nous mélangeons à la foule qui était là lorsque, le kapo de surveillance à l’entrée du tunnel, comprenant aux cris des poursuivants ce qui venait de se passer, nous attrape tous les deux en nous disant : « Gut, prima arbeit ! » (bien, bon travail), et il nous applique à un train de wagonnets sortant du tunnel. Du coin de l’œil, en basculant le contenu des bennes dans le ravin, je le voyais qui, effectivement, expliquait qu’il avait vu deux hommes, s’engouffrant en courant dans le tunnel (si la distance et le bruit m’empêchaient de comprendre et d’entendre les paroles, les gestes, eux, étaient explicites). Ce kapo venait de nous sauver la vie ; j’aurais voulu le remercier, je n’ai pas pu. Une fois l’incident clos, il nous a fait signe de disparaître et de ne pas revenir dans son coin. Mais j’ai pu constater que ni les S.S., ni les kapos lancés à notre poursuite n’avaient esquissé la moindre velléité de nous poursuivre dans le tunnel où leur sécurité n’était pas du tout assurée.
    — Ils xcvi ont vécu des heures atroces, ensemble, traqués, parqués comme du bétail voué à la mort.
    — Ils ont connu, de compagnie, le froid, la faim, les coups. Les « transports », les wagons à bestiaux où l’on est entassé des semaines entières, la balle dans la tête pour les traînards. Ils ont été dépouillés de tout ; ils ne savent rien des leurs et la plupart de leurs compagnons de captivité sont morts.
    — Trois d’entre eux sont là, au block 8, et la distribution du pain bat son plein. On donne un pain pour trois, qu’il faut partager. Le plus âgé s’en empare, serré de près par les deux autres. Il coupe cette masse noirâtre, presque immangeable et poisseuse, de son couteau, après avoir pris des mesures précises. À présent, il faut attribuer les parts.
    — Silence initial. Les adversaires s’observent.
    — Puis, épisode badin : chacun prend un air détaché, un ton soumis, qui doit probablement inspirer confiance.
    — Puis les arguments. Dépréciation du morceau que l’on convoite. Éloge dithyrambique des autres.
    — Enfin, la discussion, la vraie, toutes mains dehors. Les consonnes se précipitent en bataillons serrés à la recherche des voyelles. Les yeux luisent, les bouches se tordent : va-t-on en venir aux mains ?
    — Non, non ; le vieux apaise la tempête et d’un air entendu, il sort, de son giron, une petite balance.
    — Une belle petite balance, avec son fléau en bois sculpté avec amour, ses attaches en fil électrique habillé de rouge, une fiche en bois à chaque extrémité, remplaçant les plateaux. Les yeux deviennent attentifs. Essai de l’instrument, réglage, méthode des doubles pesées. Toujours la science…
    — Et l’on compare les morceaux, rajoutant çà et là une miette pour faire l’appoint.
    — Et tout le monde se comprend ainsi, tout le monde est d’accord. Langage de camarades ? Vous ne le comprenez pas ? Alors, allez l’apprendre au pays de la Faim.
    *
    * *
    — J’ai xcvii failli être la victime d’une aventure dont Jarry et Courteline n’eussent point désavoué le scénario. Quand l’Oberkapo distribua aux quatre médecins et au pharmacien d’Ebensee, un « bon pour un verre de schnaps », en récompense des services rendus, nous crûmes à une plaisanterie, jusqu’au jour où nous fûmes officiellement convoqués chez l’Unterscharführer Kreindl. L’homme, impassible, était assis à son bureau, fixant les yeux – qu’il ne daigna pas lever sur nous – sur un volumineux registre. À côté du registre, une bouteille étiquetée « echt spanische cognac », et un verre, un seul verre de la taille d’un dé à coudre. Nous nous mîmes au garde-à-vous tandis qu’il procédait à l’appel de nos noms. Puis nous défilâmes en rang d’oignons, notre bon à la main. Au commandement de « trinken Sie » (buvez), nous dûmes vider le verre que Kreindl remplissait aussitôt à l’intention du suivant, pour émarger sur le registre où, en regard de notre signature, furent inscrites

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