Des Jours sans Fin
C’est le même trajet que le 17, en sens inverse et, débarquant à la gare, nous sommes à nouveau enchaînés deux par deux pour gagner les wagons de troisième classe qui nous attendent. Edmond et moi avons pu monter ensemble, mais nous sommes séparés de Jacques. Avec nous, dans le compartiment, prennent place Arias, le grand Jo, Jean-Pierre Laffitte, un tailleur juif de Tarbes et deux autres camarades dont j’ai oublié les noms.
— Le wagon est propre, des banquettes en bois convenables, la fenêtre verrouillée mais démunie de barreaux. La garde est assurée par une douzaine de militaires de la police spéciale des chemins de fer ; ils ne seront d’ailleurs pas trop mauvais, laisseront les portes des compartiments ouvertes sur le couloir et autoriseront le docteur Polnov à venir parfois donner quelques indications. Leur générosité n’ira cependant pas jusqu’à nous procurer à boire en cours de route et le trajet durera trente-sept heures.
— D’après la position du soleil, les premiers kilomètres nous mènent indubitablement vers le sud. Serait-ce donc vrai ? Le retour en France ? Bientôt, il faut se faire une raison ; insensiblement, la voie a tourné, le train file maintenant plein est. À Zweibrücken, l’arrêt se prolonge, la voiture a été détachée de la rame et mise sur une voie de garage. Le brave Polnov passe à chaque compartiment, annonçant de la part des gardiens que nous ne repartirons qu’à deux heures de l’après-midi, accrochés à l’express pour Paris. J’ai beau lui dire qu’il semble étrange de passer par Deux-Ponts pour aller de Sarrebrück à Paris, le pauvre garçon y croit dur comme fer. Laissons-le à ses illusions et attendons calmement dans notre cage que le soleil chauffe avec un peu trop de générosité.
— Enfin, le voyage reprend et se déroule sans histoire. Au départ, le tatoué avait annoncé que Dachau était notre destination, il plaçait d’ailleurs cette localité auprès de Berlin. Peu après, Edmond a réussi à lire par transparence, sur la feuille de route du chef de convoi, « Mauthausen ». Cela n’a rien dit à personne.
— Le matin du deuxième jour nous trouve en pleine Bavière ; le paysage est charmant, les coquets villages se succèdent, les prairies si vertes, les collines… tout cela devrait respirer le bonheur. Mais, à chaque instant, la vue se pose sur des baraquements entourés de barbelés. Le camp de prisonniers ou le camp de concentration aura bien été la caractéristique de l’architecture hitlérienne.
— Le train croise parfois une rame transportant des troupes à l’uniforme de l’Afrika Korps, équipées de matériels couleur sable. Cela doit revenir d’Italie et les conversations vont bon train sur le chapitre des nouvelles. Nos sources sont variées : il y a les informations, certaines apportées de Romainville le 16 (nous y avions les journaux et, parfois, certains camarades réussissaient à écouter Londres sur un poste allemand en réparation), il y a celles venues de la même source le 23, et puis les communiqués allemands lus sur des débris de journaux trouvés sur des chantiers de travail. Tout cela, somme toute, donne aux discussions stratégiques des bases plus sérieuses que celles que nous avions à Fresnes où les plus invraisemblables bobards volaient de fenêtre en fenêtre, se déformant, se grossissant et souvent revenant à leur point de départ transformés à un point tel que le « donneur de nouvelle » croyait à une autre information. Combien, à Fresnes, de bombardements se sont-ils trouvés changés en débarquement ? Combien de fois la Roumanie et la Finlande ont-elles capitulé ? Combien de fois la Turquie est-elle entrée en guerre ? Et, contrairement à Radio-Fresnes qui l’avait annoncé en janvier 1943, les Russes, hélas ! ont dû attendre 1944 pour se trouver devant Varsovie. L’optimisme et la confiance règnent généralement dans les milieux prisonniers, on prend aisément ses désirs pour des réalités, mais il ne faut pas, quand même, que l’exagération soit trop forte car elle peut facilement, par la suite, engendrer le cafard.
— Dans notre compartiment, en cette journée du 27 août, on discute ferme sur les chances d’une capitulation prochaine de l’Italie. Nous en attendons tous de grands résultats. Les Russes ont, par ailleurs, gagné la bataille de Kharkov. Tout est donc pour le mieux. Où que nous allions, nous ne
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