Des Jours sans Fin
désuète, située à une vingtaine de kilomètres de Vienne, dans un cadre ravissant.
— Ce fut, pour les malheureux camarades qui exécutèrent le travail, une épreuve terrible. Ils quittaient Floridsdorff avant le jour, entassés d’une incroyable façon dans d’immenses camions munis de remorques, travaillaient sous les coups incessants toute la journée, les uns, les privilégiés, en surface pour édifier les logements mais les autres, beaucoup plus nombreux, au fond des grottes, à 20 ou 30 mètres sous terre, qu’il fallut d’abord assécher puis bétonner xxii . Ils ne touchaient souvent leur soupe que vers 14 ou 15 heures, alors qu’ils terrassaient dès la pointe du jour avec le ventre vide depuis la veille au soir. Ils rentraient de la même façon, quelquefois sous une pluie glaciale, dévoraient en un clin d’œil la ration de pain et devaient se battre afin de trouver au milieu des corps déjà étendus un petit coin pour passer la nuit, sans pouvoir souvent mettre la main sur une couverture pouilleuse.
— Lorsque tout fut prêt, en octobre 1944, le personnel affecté à ce nouveau centre de construction y fut dirigé petit à petit. Le camp avait été prévu assez largement. Construit à flanc de colline, séparé du puits de descente à la mine par une petite route de dernière importance, le site était agréable. Là, comme ailleurs, les inévitables barbelés électrisés qui, dans tous les camps, firent quelques victimes, parfois volontaires d’ailleurs, ceinturaient deux cours comportant l’une deux blocks et les cuisines, l’autre deux autres blocks, le Revier et un bâtiment des services et des douches. Les baraques, assez vastes, étaient bien construites. Malgré cela, la vie à Mödling fut intenable tellement les vexations de toutes sortes abondèrent.
— Dans ces divers locaux d’habitation, le mobilier était plus que sommaire ; il se composait essentiellement de lits en bois à trois étages superposés, de longueur normale et larges de 80 centimètres. À Floridsdorff, ceux-ci ne furent installés qu’après trois mois de séjour et ne servirent guère qu’aux camarades restés là-bas jusqu’à la fin. Ils étaient accolés les uns aux autres, par groupes de quatre minimum à neuf maximum ; chaque élément ainsi constitué se trouvant séparé du suivant par une travée tout juste assez large pour permettre le passage d’un homme. Ces véritables cages à lapins étaient garnies d’un peu de paille de bois ; à Schwechat, celle-ci était enfermée dans des enveloppes de paillasses en papier tressé. Ailleurs, ce luxe fut supprimé. En principe, chaque couchette disposait de deux couvertures, assez minces mais chaudes malgré tout ; en pratique, il fallait employer la ruse et souvent la force pour avoir de quoi se couvrir durant le sommeil. À Floridsdorff, les trois premiers mois, on coucha sur la terre battue ou sur le ciment, deux mois entiers, même sans paille ni aucune couverture ; heureusement, ceci se passait en juillet et août. L’ameublement comprenait parfois, en outre, quelques tables formées d’une planche posée sur deux tréteaux et quelques escabeaux, matériel d’ailleurs plus embarrassant qu’utile car, en beaucoup trop petit nombre pour rendre service, il gênait les déplacements. Enfin quelques poêles étaient disposés, ils ne servaient qu’à la cuisine particulière des Stubendienst et s’en approcher était un crime. Toutefois, le peu de chaleur dispensée pendant la cuisson des pommes de terre ou autres délices auxquels nous n’avions pas droit, profitait quand même à tous…
— Notre effectif sera très variable au cours de ces mois de kommando. De cinq cents environ au début, le nombre augmentera rapidement, chaque mois apportant son « transport » pour la constitution de nouvelles équipes et pour combler les vides que la mort creuse sans cesse dans les anciennes. Le maximum sera atteint au printemps 1944 avec un total de deux mille cinq cents. À la fin, à Mödling, nous serons mille deux cents auxquels il faudra ajouter quatre cents restés à Floridsdorff, et quatre cents retournés à Schwechat, dont certaines parties ont été vaguement remises en état. Sans compter ceux que j’ai connus à Mauthausen même, soit en 1943, soit en 1945, c’est donc au minimum cinq à six mille détenus différents avec lesquels j’ai mené une vie de tous les instants, dans une promiscuité indescriptible ; cela
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