Des Jours sans Fin
déjà le jour est levé, vient l’ordre de ranger les outils, bientôt suivi de celui d’évacuer.
— Avant de pouvoir dormir, il va falloir subir l’appel. Nous ne sommes pas nombreux, il devrait être fort court si le Rapportführer ne se croyait pas obligé de nous faire manœuvrer comme des bleus à la caserne pendant près d’une heure. Le sport en honneur consiste à faire découvrir tous les détenus, en parfaite harmonie, au commandement de « Mützen Ab ». Les « Mützen Ab » se succèdent sans fin, ponctués de coups de gueule, de coups de pied et de poing et de raclées au nerf de bœuf.
— Enfin chacun peut se déshabiller et s’allonger. Nous sommes bien ici, chacun son lit et un lit pour chacun. Bon repos, tout le monde, et nous sombrons dans le sommeil réparateur.
— Six nuits consécutives, nous avons travaillé ainsi douze heures ; c’est assez dur surtout pour les ajusteurs qui restent perpétuellement debout et sont les mieux placés pour être vus et frappés. Après cette sixième nuit, nous nous sommes couchés, comme à l’ordinaire, l’appel terminé, mais à peine avions-nous dormi quatre heures que nous étions réveillés et jetés hors du lit par le commandement « Auf Stehen », poussé par le chien Otto, notre brillant chef de block, et ses acolytes. Comme l’usine ne travaillait pas la nuit suivante, nos gardiens ont estimé que nous devions nous dégourdir un peu les jambes au cours de la journée. Et, en effet, à peine rassemblés, on nous distribuait des pics, des pelles et des brouettes. Cinq heures durant, sans arrêt officiel, nous avons terrassé, surveillant sans cesse les S.S., les kapos et les autres caïds afin d’éviter au maximum les coups de schlague. Le lendemain, nous avons recommencé toute la matinée pour reprendre, après quelques heures de repos, une deuxième semaine de nuit, interminable comme la première.
— Nous la finissons rompus, presque tous atteints par la dysenterie qui a déjà fait des victimes dans nos rangs. Touchés les uns après les autres, nous n’avons pu nous soigner que par la diète un jour ou deux – et Dieu sait si ce moyen est pénible et dangereux ici – et par la consommation massive de charbon de bois fabriqué, au risque de vingt-cinq coups de schlague, par nos camarades soudeurs qui carbonisent des débris de planches à l’aide de leurs chalumeaux.
— En cette fin de quinzaine déjà tragique, Pujol est au plus mal, il lutte avec une énergie extraordinaire contre son mal, sa volonté tendue à l’extrême pour ne pas mourir ; Edgard Chauvin, le plus jeune des trois frères Couche et bien d’autres ont littéralement fondu.
— Voilà deux mois que nous sommes à Schwechat ; plusieurs « transports » sont venus nous renforcer parmi lesquels j’ai eu la joie de retrouver Edmond. Il existe maintenant un assez grand nombre d’équipes pour l’usine ; en particulier, dans les locaux que nous occupons, les groupes du début – l’ensemble s’appelle « Musterbau » xxiii – nous alternons chaque semaine, en travail de jour ou de nuit, avec les kommandos 3 et 4.
— La période de jour débute le dimanche matin à 6 heures et se termine le samedi à 18 heures ; cela fait donc sept journées de douze heures où l’on reçoit la soupe à midi et le morceau de pain entre 19 et 20 heures, après l’appel.
— Le dimanche qui suit, nous nous levons, comme à l’ordinaire, vers 4 h 30 ; la matinée est terrible, elle devrait être consacrée à la toilette et au rasage mais, en pratique, nous y effectuons du terrassement. Il faut, en effet, après avoir nivelé la cour, creuser l’emplacement du bassin central destiné à constituer une réserve de quelque 500 mètres cubes d’eau. Vers midi, enfin, nous recevons la permission de nous coucher, mais le ventre toujours vide depuis la veille. Nous sommes levés à 16 heures, touchons le pain quotidien et sommes rassemblés pour l’appel et le départ à l’usine où nous entrons aussitôt après la sortie de l’autre équipe à 18 heures.
— Nous restons ainsi, sans nourriture chaude, du samedi midi au dimanche minuit. Et c’est la même vie chaque jour, désespérément monotone, éreintante, bien heureux encore lorsque le Lagerältester ne vient pas nous faire lever à 2 heures de l’après-midi pour effectuer, jusqu’à quatre, la traction du rouleau compresseur, le déchargement de camions ou quelque travail
Weitere Kostenlose Bücher