Des Jours sans Fin
fabrication d’une arme nouvelle pour la Luftwaffe. Nous nous sommes bien juré tous de conjuguer nos efforts pour qu’elle ne serve pas ou que, dans tous les cas, il soit trop tard. Si petits que nous soyons, nous pouvons freiner la production, gaspiller la matière première ou l’outillage, bref saboter.
— Nous travaillons au nouvel avion de chasse Heinkel muni d’une turbine à réaction. Le modèle manque d’élégance à mon point de vue. Les essais des trois premiers appareils, sortis entièrement de nos mains (sauf les turbines) ont eu lieu à quelques semaines d’intervalle sur le terrain de Schwechat, où certains de nos camarades sont retournés. Le résultat a dépassé nos espérances, tous les trois se sont écrasés au sol après le décollage. Le premier pilote d’essai de la maison y a laissé sa peau. Je le revois toujours circulant dans l’usine, impatient, surveillant avec les ingénieurs la sortie et le montage de chaque pièce. Nous le suivions tous avec des yeux sournois, lui recommandant mentalement de faire son testament.
Depuis, les autres ateliers de l’usine travaillent ferme au montage en série du « zinc ». Il y a des équipes de formeurs, de tôliers, d’électriciens, de monteurs… Lorsque nous quittons la calme travée du Musterbau pour quelque promenade hygiénique ou une pièce à la main qui donne une contenance, nous sommes assourdis par les coups de marteaux et le bruit de l’activité fébrile qui règne. Il ne fait pas bon faire partie de ces kommandos, on les ennuie ferme et ils sont sans cesse poussés… Chez nous, on « perruque », c’est tout. La direction doit avoir renoncé à tirer beaucoup de nos machines.
— Dernièrement, il a été institué des « primes de rendement ». Les meilleurs ouvriers reçoivent, en fait de récompense, des bons de cigarettes et même de soupes supplémentaires. Je ne sais si cela a été suivi d’effets. Au Musterbau, il n’a jamais été distribué une seule prime et, finalement, on a décidé que cet atelier, cependant formé, au moins théoriquement, avec les meilleurs spécialistes du camp, n’y avait pas droit.
— Pour le travail à l’usine, cela irait donc, mais le séjour y est très pénible malgré tout en raison du manque d’air. Nous nous trouvons dans la galerie la plus basse. Cela doit bien représenter 30 à 35 mètres sous terre. Il y a une ventilation certes, mais elle ne marche que depuis quelques jours et nous sommes là depuis des mois ; encore est-elle nettement insuffisante. On a mesuré la teneur en oxygène qui demeure très en dessous de la normale. Plusieurs fois, les ingénieurs ont dû ordonner l’ouverture de bouteilles d’oxygène comprimé. C’est d’autant moins sain que l’humidité est grande, l’eau ruisselle partout.
— Et puis, il y a d’autres soucis. Au camp, nous sommes de plus en plus ennuyés, tracassés. La nourriture diminue chaque jour et en qualité et en quantité. Les alertes sont quotidiennes si bien que l’on ne dort pas pendant la journée au cours des semaines de nuit, bien heureux lorsqu’il ne faut pas exécuter quelques heures de terrassement, le matin, avant de pouvoir s’allonger. Il est temps que cela finisse, les forces s’en vont de plus en plus. Dans ces conditions, on se replie chaque jour davantage sur soi-même, les caractères s’aigrissent, on ne peut plus rien supporter, il faut lutter à tout instant contre l’égoïsme envahissant… Non, il ne faut pas que les S.S. puissent tuer notre âme et nous ravaler au rang de la brute.
— Depuis bientôt dix-huit mois que je suis ouvrier spécialisé chez Heinkel, j’ai pu examiner un peu l’organisation de la boîte, ses méthodes, son rendement. Celui-ci, mieux vaut n’en pas parler, il est dérisoire mais cela tient avant tout à la main-d’œuvre employée. Je dois dire par contre que les méthodes ont produit une assez faible impression sur moi. J’attendais mieux des Allemands, tant vantés au point de vue technique et organisation. Pour bien des choses, on utilise ici des procédés artisanaux et cependant il y a de l’outillage. Combien de séries de pièces du Heinkel 219 ai-je vu façonner à la main alors qu’on aurait avantageusement utilisé le moulage, par exemple.
— Je n’ai admiré qu’une chose : la rapidité de l’aménagement de Mödling. Ils ont réussi là une entreprise gigantesque.
— Les cadres, d’après ce que j’ai vu, sont
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