Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
Vom Netzwerk:
ouvriers y viennent, de temps à autre, avec une pièce et un plan. Je devais tracer leur travail sur le métal brut et pouvais toujours prétexter une explication à donner. Aussi devint-il rapidement un havre où les camarades arrivaient pour se reposer et parler longuement. La nuit, tout spécialement, à partir du troisième ou quatrième mois, il y en avait au minimum deux assis en permanence près de moi. Certains réussissaient, avec un peu de ruse et de chance, à y passer les douze heures consécutives.
    — C’est ainsi qu’au mois de février 1944, Marcel Bodoignier venait me voir. C’était un brave garçon, un bon paysan de la Côte-d’Or, travaillant tour à tour aux champs, dans une boulangerie où à la poudrerie de Vonges. Il était très grand, avait été très fort. Ses camarades l’avaient jadis surnommé « Bidoche ». Je n’ai jamais su pourquoi.
    — À cette époque, il était épuisé par les privations. Son grand corps, son tempérament de gros mangeur n’avaient pu s’habituer au terrible régime. Un peu maladroit par ailleurs, il se laissait souvent voler son morceau de pain et se trouvait toujours là où les coups tombaient. Pour comble de malheur, quelques semaines auparavant, son meilleur camarade, avec lequel il était « en gourbi » selon l’expression consacrée xxx , Yves de La Barre de Nanteuil, avait été renvoyé à Mauthausen en raison des innombrables plaies de ses jambes et de ses cuisses. Le pauvre garçon, tout désorienté, s’était raccroché à Edgard Chauvin, à Paul Belvert, à Albert Lespinasse et à moi-même.
    — Le voyant incapable de se tenir debout à l’établi, je le fis asseoir plusieurs nuits de suite près de moi. Il avait peur et, sans cesse, je devais le retenir pour qu’il ne retourne pas à sa place. Parfois un contremaître venait le bousculer, il partait cinq minutes et revenait. Je ne réussis pas à faire comprendre à ces brutes que la force et la résistance humaines avaient des limites.
    — Il me parlait de tout, pendant ces longues heures : de sa femme qu’il chérissait, de ses trois enfants, de sa maison, de ses chèvres, de ses lapins… Naïvement, en pleine confiance, il s’ouvrait à moi, m’expliquait ses joies et ses peines, ses projets d’avenir. Je connus toute sa vie de jeune homme, puis d’homme travailleur et sérieux, son enrôlement dans un groupe de F.T.P. en 1943, son arrestation quelques jours après, ses souffrances à la prison de Dijon. Tout cela était très simple mais aussi très beau. Sous cette écorce plutôt rude, une très belle âme resplendissait. Ses phrases, un peu gauches avec son lourd accent bourguignon, exprimaient des sentiments très élevés.
    — La fin approchait, hélas ! à grands pas. De jour en jour, il s’effondrait, sa maigreur était devenue terrifiante, son teint d’ivoire, ses yeux vitreux. La dysenterie un jour apparut. En vain se présenta-t-il au Revier, il n’avait pas, sous le bras, les 39° 5 indispensables.
    — Seul Français dans le stube du block 5 où il couchait, il lui arriva de salir son lit. Un Stubendienst le roua de coups. Enfin, le kapo put le faire admettre au Revier pour y mourir. Avant son dernier souffle, sentant bien son état, il avait fait ses adieux aux uns et aux autres, pardonné à tous ceux qui lui avaient causé du tort, exprimé son regret d’avoir pu offenser quelqu’un.
    — Il est parti pour l’autre côté tout seul, comme tous là-bas, sans un sourire, sans une parole douce, sans une main aimante ou même amie pour clore ses pauvres yeux éteints. Il avait simplement invoqué le ciel, récité un Pater et un Ave retrouvés dans le fond de sa mémoire. Je suis tranquille, quelqu’un de plus grand que les hommes, celui que Christian n’avait pas le droit de représenter au fusain, était là. J’avais coutume de dire au camp : « On ne meurt pas ici, on crève. »
    Eh bien ! non ! Bidoche, lui, comme tant d’autres, est mort.
    Que de conversations au marbre. Tous y passaient : Tison, Edgard Chauvin, Paul Belvert, André Ducroix, Georges Germain, le grand Michel, Maurice Blondeleau, Boisson, etc. Plus tard, il y eut le père Cosson, Flachat, Jean-Pierre Laffitte et plusieurs autres. On y parlait de tout, de cuisine ou de philosophie, de pêche à la ligne ou de politique, de questions techniques, de projets d’avenir, des potins du camp, des nouvelles. Peu importait, l’esprit s’évadait, le temps passait,

Weitere Kostenlose Bücher