Des Jours sans Fin
de nettoyage du camp, les séances de sport, etc.
— Les fouilles étaient exécutées plus ou moins consciencieusement par les Blockführer et les kapos. Avec certains, cela allait toujours, avec d’autres on recevait automatiquement quelques gifles. Il fut toujours interdit de posséder un couteau, ce qui n’empêchait pas la direction du camp de faire distribuer, assez souvent, un morceau de pain pour deux ou trois individus. Étaient également défendus les carnets, les notes, etc. Depuis décembre 1944, il ne fallait plus avoir avec soi que la gamelle et la cuiller. Tout le reste était sévèrement prohibé, même un chiffon servant de mouchoir, même un morceau de papier. Chacun devait alors ruser et risquer pour transporter un petit bagage individuel.
— Tous possédaient au moins un couteau, inutile de le dire, et l’on avait souvent, en outre, des objets beaucoup plus incommodes à dissimuler. Un jour de février 1945, un Espagnol avait promis des soupes à Jean-Pierre Laffitte s’il lui procurait du cuir pour réparer des chaussures. Toujours à l’affût d’un bon coup, extraordinairement audacieux pour ces expéditions d’un genre particulier, Jean-Pierre passa une partie de la nuit à parcourir l’usine. Sur les 2 heures du matin, je le vis arriver au marbre, l’œil un peu inquiet. Nous étions les deux seuls Français à ce moment dans notre kommando et, de ce fait, mettions tout en commun.
— « Vite, me dit-il, prends cela et cache-le jusqu’à l’appel. »
— Il en sortit alors de dessous sa veste une superbe courroie en cuir de belle dimension. Il m’expliqua qu’il l’avait repérée sur une machine dans le fond de la menuiserie. Sans hésitation, à un moment où personne ne le voyait, il l’avait tranchée et me l’apportait. Restait à la rentrer au camp malgré la fouille. Je dois avouer que je n’étais pas très à mon aise. Après le travail, nous l’installions dans le fond d’un bidon que nous ramenions tous les deux à la cuisine. Cela passa, nous eûmes notre soupe et Heinkel une belle courroie en moins. Jean-Pierre s’était procuré de même un petit moteur électrique de machine-outil dont il avait fait don à la menuiserie des Espagnols, de l’huile de graissage, du savon gras, une balayette…
— Une autre fois, à la même époque, nous avions pu nous procurer au camp quelques pommes de terre crues. Nous les avions disposées entre la chemise et la peau tout autour du corps pour ne pas trop attirer l’attention. Rassemblés, prêts à partir pour l’usine où nous devions passer la nuit, nous vîmes arriver les S.S. qui commencèrent à fouiller un homme sur deux. Je suis certain que, l’un comme l’autre, et moi certainement plus encore, n’avions pas un poil sec. Nos voisins immédiats furent visités. Par miracle, nous échappâmes. Jean-Pierre fit cuire les précieux légumes avec son bouilleur branché sur la prise de sa fraiseuse, ils nous semblèrent terriblement bons.
— Le samedi après-midi, pour l’équipe descendant de nuit et le dimanche matin pour l’autre, étaient les grands jours consacrés aux brimades collectives. On trouvait toujours des petits travaux à exécuter dans le camp afin de nous empêcher de souffler et de nous reposer. Une fois, il fallait enlever les papiers et les brins d’herbe de la cour (à la main bien entendu), une autre c’était un transport de cailloux ou de pierres dans les vestes et les capotes, ou bien encore on déblayait la neige avec la gamelle pour seul outil. Occupations idiotes, agaçantes, surveillées par cinquante bandits armés de schlagues et qui n’avaient même pas l’excuse de l’utilité, cependant contestable, des dures séances de terrassement imposées assez souvent ces jours-là ou même en semaine, pendant deux ou trois heures, au retour du travail de nuit.
— Quant au « sport », il n’était nullement une partie de plaisir ni de culture physique rationnelle comme on pourrait le croire. Les séances constituaient des punitions collectives imposées pour mille raisons, fausses ou vraies : lenteur des rassemblements, manque de déférence envers le Rapportführer xxxi , relâchement de la discipline, mauvaise volonté au travail, etc. Après l’appel, on subissait dans le froid d’interminables séries de « Mützen Ab », on faisait des « appuis avant », on restait jusqu’à quinze ou vingt minutes accroupis, sur la pointe des pieds, bras
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