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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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nos corps seuls rivés à la misérable condition. La Libération, l’avenir, un pays régénéré, beau, puissant, propre, harmonieux, donnant le ton à un monde d’où la haine serait bannie…
    — Que d’espoirs exprimés, que de beaux jours entrevus !
    — Parfois, au « Lager », je rencontrais des camarades d’autres kommandos : Paul Grabette, hôtelier sur la côte basque, homme d’une distinction raffinée, employé aux « Kartoffelschälen » affligé de la plus horrible plaie du camp depuis octobre ou novembre 1943 qu’il avait encore, énorme, violacée, infectant l’atmosphère lors de la Libération. Christian, jeune artiste peintre plein de vitalité et de talent. Celui-ci jouissait d’une situation privilégiée. Il peignait des panneaux décoratifs pour les locaux des S.S., faisait des portraits d’après photographies, reproduisait des paysages que les S.S. vendaient ensuite à leur profit. En contrepartie, il vivait avec les Lagerschreiber. Il profita de sa position pour faire beaucoup de bien au cours de la première année, distribuant du pain, de la soupe, des chiffons pour couvrir les pieds ou les poitrines, procurant aux malades aspirine ou cachets de charbon. Il n’en fut pas toujours récompensé, certains camarades un peu jaloux, un peu aigris à la longue, ayant mal interprété certains de ses meilleurs gestes. Souffrant d’une crise de foie, à l’automne 1944, atteint par un « cafard » épouvantable à l’approche du deuxième hiver, il se laissa malheureusement aller au découragement, se repliant sur lui-même. À la fin, ce n’était plus qu’une loque. Sans son régime matériel assez spécial, il ne serait certainement pas revenu. Je le plaignais intérieurement.
    — Avec ces amis, lorsque c’était possible, nous parlions de choses et d’autres, épuisant le chapitre des nouvelles ou de la haute stratégie pour disserter sur la littérature, la musique ou l’art en général. Le théâtre, le cinéma, le music-hall ou la mode, tout y passait. J’avais beaucoup d’admiration pour la facilité de Christian, son intelligence brillante, son élocution facile. Je lui disais combien j’enviais les artistes qui possèdent le génie de la création et le culte de la beauté. Sortir une œuvre de son cerveau et de ses doigts, y a-t-il chose humaine plus prestigieuse ? Ah ! les magnifiques mots : créer et création !
    — Nous échangions aussi des idées sur la religion. Lui était protestant, moi catholique. Nous confrontions des opinions et Paul Grabette, le sage, concluait la discussion. Je me souviens, à ce propos, d’une longue conversation que nous eûmes un matin, alors que je rentrais du travail. Elle porta presque exclusivement sur un jeune camarade qui venait d’arriver, avec le dernier « transport » de Mauthausen. Il avait auparavant été détenu à Neuengamme, je crois. Il s’appelait Yves Chauvet de la Porterie, grand, beau garçon, vingt-cinq ans, chef scout. Je ne le connaissais pas encore et Christian, justement, m’en parlait pour que je cherche à le rencontrer.
    — Il me disait la beauté d’âme de ce jeune homme, ses sentiments élevés, l’ascendant qu’il devait avoir autour de lui grâce à son rayonnement moral. Je rencontrai Yves quelques jours plus tard, un instant seulement. Je le vis à nouveau le matin du 23 avril, nous nous étions donné rendez-vous pour manger le pain ensemble, après la journée de travail. Edgard était tout heureux de connaître un nouvel ami, d’autant plus qu’il avait été en rapport avec sa famille jadis.
    — C’était le jour du premier bombardement de Schwechat. À 15 heures, Yves gisait, au milieu des cinquante ou soixante victimes, beau jusque dans la mort.
    — Les rassemblements à grands coups de schlague, un jour de fête, sous le motif le plus futile, faisaient partie d’un plan bien établi de brimades incessantes imposées aux détenus par les S.S. et leurs valets attentifs.
    — Celles-ci, assez variées, constituaient mille petits coups d’épingle, peut-être pas terribles individuellement, mais dont la répétition créait cette atmosphère de perpétuelle terreur où l’on vivait.
    — Outre la longueur exagérée des appels, outre les distributions de vivres où le désordre était volontairement organisé, il y avait à chaque instant – les trois derniers mois, c’était matin et soir – les fouilles, et puis les corvées d’aménagement, ou

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