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Des Jours sans Fin

Des Jours sans Fin

Titel: Des Jours sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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savait avoir la volonté de ne jamais fumer, pouvait, grâce au marché, augmenter sa ration alimentaire d’environ cinq pour cent. Mais pour cela, il fallait vouloir…
    — L’appel le plus terrible que je subis fut celui du 1 er janvier 1944. Il faisait un froid terrible et personne ne travaillait. Le Rapportführer était de mauvaise humeur, aussi décida-t-il de faire traîner les choses en longueur. Le Lagerältester avait demandé, par mesure exceptionnelle, que quelques malades graves soient laissés au block. Il n’obtint qu’un refus et il fallut aller chercher les malheureux qui se traînaient lamentablement. Trois autres moribonds furent amenés dans des brouettes. On les déposa à terre, à même le sol gelé et la neige durcie. L’appel dura plus de deux heures. Quand ce fut fini, deux des malades avaient cessé de vivre. Est-ce ce jour-là qu’Edmond prit son mal fatal ? Est-ce à la désinfection du 18 décembre ? Ou bien au cours des cinq heures de piquet infligées à tout le camp le dernier dimanche de décembre ?…
    — Les appels, avec beaucoup d’autres, furent un bon moyen pour tuer. Nous avions d’ailleurs l’image de la mort presque chaque jour car c’est en général pendant leur durée que le fourgon venait chercher les cadavres pour le crématoire de Vienne. Il arrivait pratiquement tous les matins et il n’était pas rare que cinq ou six cercueils soient chargés à la fois xxix . Lorsque l’on songe que l’effectif ne dépassa jamais deux mille cinq cents et que, périodiquement, le Revier était évacué sur celui de Mauthausen, on comprend l’effroyable hécatombe !
    — Les corps souffraient dans cet enfer, mais les âmes vivaient. La volonté toujours tendue, luttant contre l’avilissement moral, contre le découragement, contre l’abandon fatal, le détenu, au milieu des privations, des vexations, des humiliations sans nom qui lui étaient imposées, gardait en son cœur une flamme qui le soutenait et que, malgré leurs efforts, les bourreaux ne pouvaient éteindre.
    — La vie intellectuelle, la vie spirituelle étaient nulles au bagne. Aucune lecture, aucune de ces conférences ni de ces cercles d’études qui existaient dans les camps de prisonniers de guerre. Le papier, lui-même, était très difficile à trouver et il était strictement défendu de conserver la moindre note écrite. Comment, d’ailleurs, en dehors de toute interdiction, aurait-il pu être organisé quelque chose avec l’horaire surchargé de travail, le mélange des nationalités et le surpeuplement des locaux ?
    — Il va sans dire que toute assistance religieuse, si utile cependant aux croyants, était refusée. Le mot même de Dieu était proscrit et un camarade eut un jour une histoire avec le Rapportführer parce qu’il avait dessiné une tête de Christ. Le Sauveur n’existait pas.
    — Force était donc de se replier sur soi-même et de profiter de toutes les occasions pour « penser » un peu, pour s’évader moralement.
    — Les spectacles de la nature, nous n’en profitions guère, enfermés entre nos murs et nos barbelés électrisés. À Schwechat, nous ne contemplions que le ciel, mais quel ciel ! Ah ! ces admirables couchers de soleil où lentement, majestueusement, l’astre du jour s’enfonçait derrière les bâtiments, immense boule sanglante, illuminant tout l’horizon de somptueuses couleurs : l’or incandescent, le cuivre éclatant, toute la gamme des oranges, des verts, des mauves… Jamais je n’en ai vu de plus beaux et cela on ne pouvait nous l’enlever. Nous en jouissions intensément de même qu’à Mödling nous goûtions pleinement le ravissant paysage qui s’offrait à nos yeux en sortant du block.
    — Avec ravissement aussi, pendant les appels ou les rassemblements du soir, nous regardions les étoiles au firmament. Au loin, une cloche remplissait la nuit de son tintement argentin, cela nous parlait de la France, là-bas, vers l’Occident sur laquelle l’ombre s’étendait à son tour, où l’on se battait dans le brouillard de la clandestinité, où l’on mourait pour notre idéal.
    — Comme elle était belle la France, vue de si loin, à travers le prisme déformant de nos espoirs et de nos souffrances. Comme on en parlait, doucement, entre soi, sur les rangs ou bien au travail lorsque l’on pouvait se réunir à quelques-uns.
    — Mon marbre constituait pour ces entretiens un lieu propice. Il était normal que les

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