Des Jours sans Fin
face ce jour-là.
— Il ne subit pas, comme il était à craindre, la torture du bain forcé de la planche inclinée (il n’en fallait pourtant pas autant !).
— Cela consistait en un tréteau de 1,50 mètre de hauteur environ, placé au bord du bassin, surmonté d’une planche inclinée à 45 degrés, parfois savonnée (!), sur laquelle devait se tenir, debout, le « puni ». En face, de l’autre côté du bassin, une brute S.S., son mousqueton appuyé sur un trépied, visait lentement, sadiquement… la tête ou une oreille, ou un membre. Tirerait-il ? Ne tirerait-il pas ? Le moindre geste, le plus petit tremblement, et le pauvre camarade glissait et plongeait dans l’eau. C’était à recommencer… Soi-disant la brute n’avait pas eu le temps de viser (il n’avait jamais le temps de tirer !). Après plusieurs tentatives, « puisque le misérable ne voulait pas mourir par balle, il serait noyé »… Alors commençait cette chose atroce : dès que le « nageur » s’accrochait à un bord pour essayer de sortir, il trouvait un S.S. ou un kapo pour lui frapper des coups sur les mains, l’obligeant à lâcher prise et à repartir vers un autre côté. Arrivait un moment où le supplicié, épuisé, avec dans le regard cette résignation à la mort que nous savons, nous disait adieu… Alors, et alors seulement, les S.S. s’étant bien amusés, ostensiblement « magnanimes » (!), lui permettaient de sortir ou permettaient qu’on le sorte. Et, naturellement, vous le savez : pas de vêtements secs de rechange !
Parfois, le « jeu » était inversé. La planche, dûment savonnée, le puni devait s’y tenir, toujours debout, sous menace d’être tué par le tir du mousqueton s’il glissait. C’était diabolique.
— En reste-t-il des camarades ayant subi ces épreuves, encore vivants ?
— L’âme viii féminine allemande est incompréhensible. Sur le camp donne un grand bureau où travaillent plusieurs charmantes dactylographes, témoins désabusés et, en général, indifférentes à nos souffrances. Or, un jour qu’un de nos camarades, cruellement matraqué et jeté deux ou trois fois dans le bassin de la cour, gisait inanimé et sanglant sur le sol, une de ces jeunes femmes, après avoir franchement ri au début de la scène, s’élança tout à coup hors du bureau en sanglotant et vint supplier le S.S. de mettre fin à ces odieuses violences. Nous n’avons pas encore compris.
— Drokur ix nous surveille… Je n’arrive pas à le prendre au sérieux : quand il nous commande le « garde-à-vous » avec ses yeux riboulants et son menton mussolinien, il me semble un diable de bazar, une terreur pour cotillon de la barrière. Mais lui veut être une vraie terreur.
— Pour l’instant, il marche de long en large et expectore avec autant d’adresse que de force à quelques mètres devant lui. Molotov qui rôde par là, discret et pour faire sa cour, ne crache qu’à un mètre. Drokur pose sur nous un regard méprisant : soudain, il bondit et fait arrêter la colonne en invectivant contre François, toujours notre chef de file : « Schweine Franzosen… Scheiss Mensch x . » François nous traduit tant bien que mal au milieu d’un débordement d’injures : des camarades qui n’ont pas de mouchoirs sans doute se sont mouchés par terre. Nous sommes, par conséquent, des gens sales et sans culture, pour nous punir nous devons… lécher… toutes les traces laissées par notre inqualifiable conduite…
— Nous croyons à une plaisanterie un peu grossière. Nous voyons François donner quelques explications à Drokur, mais celui-ci n’écoute rien, fait mettre l’un de nous à quatre pattes et lui ordonne d’entrer en action. L’intéressé tire une belle langue et s’en tient là, pensant que le simulacre suffit. Un coup de pied bien appliqué lui fait plier les bras et presque embrasser le sol. Molotov, qui a suivi son maître, fait passer son tuyau de caoutchouc de l’aisselle gauche à l’extrémité de son bras droit. La partie ne fait que commencer.
— Drokur se retourne vers la colonne et gueule en allemand : cela veut dire « appui-tendu ». Nous nous mettons à quatre pattes. « Flexion sur les avant-bras. » Nous traduisons par un plat-ventre général dans une boue épaisse. Attitude moins sportive mais aussi moins fatigante ; les considérations d’élégance ne nous en imposent plus. Drokur, un peu surpris de l’adaptation en
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