Des rêves plein la tête

chez Rancourt acheter du manger. Si je le faisais, la nouvelle ferait
vite le tour de la paroisse et on raconterait partout que j'ai pas assez à
manger au presbytère ou que monsieur le curé me prive de nourriture.
     
    — En te
regardant, j'ai pas l'impression que ça vienne à l'idée de quelqu'un, plaisanta
Florent Saint-Onge en riant. A ta place, je demanderais plutôt à Joseph
Lanthier de préparer en cachette un panier pour la famille avec l'argent que tu
lui donneras. Comme président de la Saint-
     
    Vincent-de-Paul,
il a de bons prix. C'est un bonhomme discret qui dira pas un mot à notre brave
curé.
     
    — C'est ce que je
vais faire, dit l'aîné des vicaires, retrouvant soudainement sa bonne humeur.
     
    Florent
Saint-Onge le laissa seul quelques minutes et monta à l'étage où étaient
situées les chambres. Il revint peu après. Il tendit discrètement quelques
billets de banque à son confrère.
     
    — Pourquoi tu me
donnes ça ? demanda l'autre, étonné.
     
    — C'est tout
l'argent qui me reste. C'est pas grand-" chose, mais t'ajouteras ça au
panier que tu vas faire préparer pour ta madame Trépanier. Ça peut pas nuire.
     
    — Je te dis merci
pour ses enfants, se contenta de dire Raymond Léger en empochant la somme.
     
    Deux semaines
plus tard, Laurette profita du passage de sa mère à la fin de la matinée pour
lui demander si elle ne l'aiderait pas à faire sa pâte à tarte pour les fêtes
qui approchaient. Elle croyait avoir trouvé l'excuse parfaite.
     
    — J'ai tout ce
qu'il faut, m'man, mais avec les enfants sur les bras, j'ai pas encore eu le
temps de cuisiner pour les fêtes.
     
    — Laurette,
sors-moi pas de menteries. Je te connais. T'as juste pas eu envie de faire ta
pâte à tarte, c'est ça ?
     
    — C'est toujours
la même maudite affaire, m'man. Quand j'ai fini de la faire, elle est dure
comme de la pierre et elle est pas mangeable. Pourtant, je suis votre recette
comme il faut. Je vous le dis, je suis pas faite pour la cuisine fancy.
     
    — Il y a rien de
fancy dans la pâte à tarte, Laurette. Sors-moi un tablier, je vais te la faire,
ta pâte, ajouta Annette avec un soupir résigné. Mais tu remarqueras que
     
    ça a pas d'allure
qu'une femme de trente ans, mère de cinq enfants, soit pas capable de faire des
tartes et des tourtières. Je serai pas toujours là, ma fille. Il va ben falloir
un jour que tu t'y mettes.
     
    — Je le sais,
m'man, mais dites-vous que c'est le meilleur moyen pour vous de manger quelque
chose de bon au réveillon parce que c'est ici qu'on le fait cette année.
     
    Laurette avait
accepté le blâme sans se rebiffer, trop heureuse que sa mère se charge de la
tâche qu'elle détestait entre toutes.
     
    — Prépare ton
mélange à tourtière pendant que je fais la pâte, lui ordonna Annette. Combien
t'en veux?
     
    — Cinq de chaque,
qu'est-ce que vous en pensez ?
     
    — C'est toi qui
sais ce qu'il te faut, répondit sa mère en se mettant au travail.
     
    A l'heure du
midi, tartes et pâtés à la viande achevaient de refroidir sur le comptoir.
Laurette, satisfaite, alla reconduire sa mère à la porte. Puis, elle alla
chercher le vieux coffre en bois dans le hangar et le plaça sur le balcon avant
d'y déposer les plats.
     
    — Ça sent ben bon
! s'exclama Denise qui rentrait de l'école pour dîner.
     
    — J'ai fait des
tartes et des tourtières, mais c'est pas pour à midi. C'est pour Noël, lui
expliqua sa mère occupée à préparer le repas. Mets la table.
     
    La veille de
Noël, il fut entendu que Gérard irait à la messe de minuit avec Denise et
Jean-Louis pendant que Laurette garderait les plus jeunes à la maison. A sept
heures, les enfants furent promptement mis au lit avec interdiction de se lever
sous peine de ne pas recevoir la visite du père Noël.
     
    Dès qu'ils furent
endormis, les parents sortirent les cadeaux dissimulés sous leur lit et les
déposèrent dans un grand sac rouge. La mère de famille distribua ensuite une
pomme, une orange, une canne en bonbon, trois petits chocolats et un sucre
d'orge dans quatre bas avant de les placer dans le sac eux aussi. Pendant que
Gérard allait déposer le grand sac dans le hangar, sa femme dressa la table du
réveillon.
     
    Jean-Louis et
Denise furent réveillés vers dix heures trente et ils s'habillèrent en silence
pour se rendre à la messe de minuit en compagnie de leur père. Quand ils
revinrent de l'église avec leurs grands-parents Brûlé, leur