Des rêves plein la tête
comme
élève vingt ans auparavant.
Lorsqu'elle
arriva devant la classe, elle découvrit avec dépit qu'il y avait déjà six mères
qui faisaient la queue pour rencontrer la religieuse. Une femme à l'allure
négligée vint prendre place derrière elle, quelques minutes plus tard.
— On en a pour un
bon bout de temps à attendre, murmura-t-elle à Laurette. Cette sœur-là est
bavarde comme une pie. Je suis venue tout à l'heure, mais j'ai pas voulu
attendre. Je suis allée voir les sœurs qui font l'école à mes trois autres
filles. Je pensais ben que la file serait moins longue en revenant,
ajouta-t-elle, l'air déçue.
— Vous avez
quatre filles ?
— Oui, quatre
filles et deux gars. Et je peux vous dire que quand on n'a pas de mari pour
aider à élever des enfants, c'est pas drôle pantoute.
Laurette en
déduisit que la femme, qui semblait compter quelques années de plus qu'elle,
devait être veuve. Elle la plaignit.
— Il faut aussi arriver
à les nourrir et à les habiller, dit-elle.
— Ça, c'est sûr,
admit la femme. Vous vous appelez comment ?
— Laurette Morin,
je suis la mère de Denise Morin.
— Moi, je
m'appelle Gisèle Trépanier. Je suis la mère de Mireille Trépanier, qui est dans
la classe de votre fille.
Il y eut un bref
silence. Deux des mères qui attendaient quittèrent la file, décidant qu'il
valait sans doute mieux aller rencontrer les autres sœurs enseignantes d'abord.
Puis Gisèle Trépanier reprit la parole à mi-voix.
— Le plus dur,
c'est le temps des fêtes avec les enfants. J'arrive pas, ajouta-t-elle dans un
souffle. A cette heure, tout coûte tellement cher. De temps en temps, je fais
garder mes plus jeunes par ma plus vieille et je fais des ménages à gauche et à
droite, mais c'est pas assez pour arriver.
— Est-ce que la
paroisse peut pas vous aider ? demanda Laurette.
— J'ai demandé,
mais j'ai pas encore eu de réponse. Quelques minutes plus tard, ce fut au tour
de Laurette
de pénétrer dans
le local où l'attendait une petite religieuse à l'âge indéterminé, assise
derrière son bureau posé sur une estrade en bois. La mère de famille la
reconnut au premier coup d'œil.
— Bonjour, ma
sœur. Je suis la mère de Denise Morin.
Pendant qu'elle
se présentait, sœur Marie de la Rédemption la dévisageait derrière ses petites
lunettes rondes.
— Est-ce que je
vous ai pas fait la classe ? finit-elle par demander à la visiteuse.
— Oui, ma sœur.
— Il me semblait
bien aussi. Quelle est votre nom de fille?
— Laurette Brûlé,
ma sœur.
— Vous étiez dans
ma classe de sixième année, c'est ça ? Vous vous teniez toujours avec les deux
ou trois mêmes filles. Si je me rappelle bien, il y avait deux sœurs parmi
elles...
— Les sœurs
Cholette et Suzanne Tremblay, ma sœur, précisa Laurette, épatée par
l'excellente mémoire de l'institutrice.
— Je me souviens.
Je dois dire que votre fille est pas mal plus obéissante que vous l'étiez, fit
remarquer la vieille religieuse. C'est vrai qu'elle peut encore changer,
ajouta-t-elle avec un sourire malicieux. J'espère seulement qu'elle va
apprendre plus facilement la couture que sa mère. Êtes-vous meilleure que vous
l'étiez quand vous étiez mon élève ?
— Pas tellement,
ma sœur, reconnut honnêtement Laurette en rougissant un peu.
— Par contre,
votre fille a plus de difficulté que vous à apprendre. Il va vous falloir
l'aider un peu plus à la maison si vous voulez qu'elle réussisse son année.
— Je vais m'en
occuper, promit la mère de famille en se levant pour prendre congé.
Laurette croisa
Gisèle Trépanier sur le pas de la porte de la classe. Elle la salua d'un
hochement de tête puis rentra chez elle d'un pas résolu. De toute évidence,
Denise n'avait guère plus de talent que son frère Jean-Louis et elle allait
être obligée de les secouer.
— C'est le fun,
dit-elle à Gérard en enlevant son manteau. Me v’là poignée avec deux queues de
classe. Et toi, ajouta-t-elle à sa fille, qui s'apprêtait à aller se coucher,
tu vas avoir affaire à travailler pas mal plus, je te le garantis.
Ce soir-là, la
jeune mère de famille ne parvint que difficilement à trouver le sommeil. Elle
était préoccupée par l'avenir de ses enfants. Qu'allaient-ils devenir s'ils
étaient incapables de se rendre jusqu'à leur 7e année? D'où
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