Des rêves plein la tête
dire, ça m'intéresse pas.
En fait, elle
aurait certainement apprécié de posséder un téléphone si sa mère ou ses frères
en avaient également eu un, mais comme seule sa belle-famille s'en était
procuré, elle ne voyait pas l'intérêt d'une telle dépense.
Chacun continua
de vaquer à ses occupations. En soirée, Gérard devint réellement inquiet: la
neige avait redoublé d'intensité.
— Ça a pas l'air
de vouloir se calmer pantoute, cette tempête-là, dit Laurette en préparant les
enfants pour la nuit. A ta place, je m'habillerais et j'irais tout de suite
téléphoner à Rosaire chez Brodeur avant qu'il ferme.
Celui-ci alla
soulever le rideau de la porte d'entrée pour s'assurer qu'il y avait encore de
la lumière à l'épicerie, au coin de la rue. Il endossa son manteau et sortit
dans la tourmente. Il revint moins de dix minutes plus tard en affichant un air
désolé.
— Puis ? demanda
sa femme en train de donner un biberon de lait à Carole.
— Dehors, on voit
ni ciel ni terre. Il doit y avoir un pied et demi de neige de tombé. Les chars
peuvent pas rouler, c'est certain. En tout cas, pas dans notre coin. La charrue
est même pas passée une fois sur Archambault et sur notre rue.
— C'est pas ça
que je veux savoir, reprit Laurette. As-tu été capable de parler à Rosaire ou à
Colombe ?
— Oui, j'ai parlé
à Rosaire. Il venait de téléphoner à mon père pour lui dire qu'on pourrait pas
y aller demain. Je trouve qu'il a décidé ça pas mal vite.
— C'est lui qui
conduit, rétorqua Laurette en cachant difficilement sa satisfaction. Il doit
ben savoir si c'est possible ou pas d'aller à Saint-Hyacinthe avec son char.
— C'est pas ça
que je voulais dire, reprit son mari en venant prendre place dans sa chaise
berçante, entre l'arbre de Noël et la radio. Il a parlé pour nous autres. Il y
a rien qui lui dit qu'on peut pas prendre le train à la gare Windsor pour aller
chez mon père demain matin.
— Es-tu malade,
toi ? s'emporta Laurette. Nous vois-tu avec cinq enfants dans les p'tits chars
puis dans le train ? Il faudrait en porter trois dans de la neige aussi
épaisse. Sans compter que ce serait ben trop de dépenses... Ça aurait pas
d'allure pantoute.
Gérard reconnut
avec dépit que sa femme avait raison. Il étendit le bras pour allumer la radio
qui diffusait un air folklorique chanté par Ovila Légaré. Dehors, le vent
continuait à projeter la neige presque à l'horizontale. En regardant par les
fenêtres des chambres, à l'avant du logement, on avait même du mal à apercevoir
l'autre côté de l'étroite rue Emmett.
A onze heures, le
couple décida d'aller se coucher après être allé vérifier que chaque enfant
était bien couvert et avoir alimenté en charbon la fournaise du couloir.
— En tout cas, si
ça continue à tomber comme ça, fit Gérard, on va même avoir de la misère à
aller à la messe demain matin.
— On y est allés
il y a deux jours, fit Laurette en remontant les couvertures jusqu'à ses
épaules. Si on peut pas y aller, ce sera pas un gros péché.
— Moi, j'haïrais
ben ça commencer une année en n'allant pas à la messe, déclara son mari après
avoir éteint la lampe de chevet.
Laurette eut un
petit frisson d'aise à la pensée de ne pas avoir à supporter sa belle-famille
le lendemain. Elle se promit d'entraîner les siens jusque chez ses parents à la
fin de l'avant-midi. Annette et Honoré y seraient sûrement puisqu'ils ne
devaient quitter leur appartement qu'au milieu de l'après-midi pour aller
souper chez Bernard et Marie-Ange, rue Logan.
Malheureusement,
le sort en décida autrement. À son réveil, le lendemain matin, la neige avait
finalement cessé. Tout semblait dormir sous une épaisse couverture blanche.
Enveloppée dans sa robe de chambre et chaussée de ses vieilles pantoufles
éculées, la mère de famille entrouvrit la porte d'entrée. Elle eut la surprise
de constater que la neige s'était accumulée presque à la hauteur de la poignée.
— Si ça a du bon
sens! s'exclama-t-elle en refermant vite la porte. Tu vas avoir du pelletage à
faire avant d'aller à la messe, annonça-t-elle à Gérard qui venait de sortir de
la chambre. Il y a presque trois pieds de neige dehors.
Elle songea tout
de même, avec un frisson de plaisir anticipé, aux joies que cette journée lui
réservait. Mais, en quelques minutes, tous les plans élaborés
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