Des rêves plein la tête

père prétexta une
courte visite chez les Gravel et les laissa rentrer seuls avec les visiteurs.
Quelques minutes plus tard, on frappa à la porte d'entrée. Laurette envoya
Jean-Louis répondre.
     
    — C'est le père
Noël ! C'est le père Noël ! s'écria-t-il tout excité, en laissant entrer le
bonhomme à la grande barbe blanche, porteur d'une poche rouge bien remplie.
     
    Le vieil homme
fut installé sur une chaise, près de l'arbre de Noël, et prit sur ses genoux
chacun des enfants avant de lui remettre ses étrennes. Les deux aînés reçurent
un cahier à colorier et des craies de couleur alors que Gilles et Richard
eurent droit à une petite voiturette tirée par un cheval de bois. Après leur
avoir remis les bas remplis de friandises, le père Noël prit finalement congé
en disant que sa tournée était loin d'être terminée.
     
    Quand Gérard
rentra à la maison quelques minutes plus tard, il fut accueilli par ses enfants
qui lui apprirent dans une joyeuse cacophonie qu'il avait manqué la visite du
père Noël. Il leur répondit l'avoir aperçu dans la rue avec son traîneau tiré
par des rennes.
     
    — C'est drôle,
p'pa, le père Noël a presque la même voix que vous, fit remarquer Denise, de
toute évidence en proie à une certaine incertitude.
     
    Laurette jeta un
regard d'avertissement à son mari en lui montrant Jean-Louis qui le dévisageait
comme s'il doutait, lui aussi.
     
    — Au lieu de dire
des niaiseries, la rabroua sa mère, viens donc m'aider à servir le réveillon.
Il est temps qu'on mange.
     
    L'odeur des pâtés
à la viande en train de réchauffer dans le fourneau mêlée à celle du ragoût
mijotant sur le poêle faisait saliver, tout le monde mangea avec un bel
appétit.
     
    — Je vous laisse
jouer un quart d'heure avant d'aller vous coucher, décréta Laurette à la fin du
réveillon. Faites pas trop de bruit pour pas réveiller Carole. On est chanceux
qu'elle se soit pas déjà réveillée.
     
    — Tes petits ont
l'air ben contents de leurs cadeaux, lui fit remarquer sa mère, heureuse de
voir ses petits-enfants si enjoués.
     
    — Le père Noël
nous a coûté pas mal cher cette année, mais je pense que ça en valait la peine,
répondit Laurette à mi-voix en couvant les siens d'un œil attendri.
     
    — En tout cas,
c'était ben bon, dit Honoré en desserrant sa ceinture. Je vous dis que c'est
pas pendant la crise qu'on avait autant à manger, même si, nous autres, on n'a
pas eu à se priver ben gros.
     
    — Moi, je
voudrais pas revivre ça pour tout l'or du monde, avoua Annette. Je vivrais cent
ans que j'oublierai jamais ce temps-là.
     
    — C'est sûr que
c'était pas ben drôle, reprit Gérard. A Saint-Hyacinthe, on n'a pas compris
tout de suite qu'on était pour pâtir du crash en 1929, nous autres aussi.
     
    — Vous avez pas
été les seuls à penser ça, dit sa belle-mère. Moi, je me suis souvenue de mon
père et de ma mère. Il y a eu une grosse crise en 1896. J'avais juste sept ans
quand c'est arrivé. Mais mon père a passé sa vie à
     
    répéter que
c'était la misère noire et qu'il y avait eu ben des enfants qui étaient morts
de faim.
     
    — En 1929, reprit
Honoré, c'était une autre paire de manches. On voyait pas pantoute pourquoi on
aurait pâti parce que des Américains avaient fait les fous avec leur argent à
la bourse. Mais c'est quand les compagnies se sont mises à fermer les unes
après les autres et qu'on trouvait plus d'ouvrage nulle part que moi, j'ai
vraiment commencé à comprendre. Cet hiver-là, il y avait juste à voir les
chômeurs et la misère partout. Maudit que c'était dur, mais on a fini par
passer à travers.
     
    — Votre famille a
été ben chanceuse de manquer de rien, monsieur Brûlé, reprit Gérard. Moi, je
travaillais déjà quand c'est arrivé. Du jour au lendemain, j'ai perdu mu job et
c'est pas demain la veille que je vais oublier comment j'ai eu de la misère à
m'en trouver une à Montréal.
     
    — Moi, je vous
trouve pas mal triste pour un réveillon de Noël, déclara Laurette en
s'efforçant de mettre une joyeuse animation dans sa voix. J'allume la radio.
Ils doivent faire jouer des airs de Noël.
     
    — Pas trop fort,
lui fit remarquer Gérard. Pense à la petite.
     
    La complainte de
La Charlotte prie Notre-Dame envahit alors la cuisine.
     
    — Ah ben non, par
exemple, s'exclama l'hôtesse en éteignant la radio. Ça, c'est un air qui fait brailler.
     
    — En tout cas, ça
paraît