Des rêves plein la tête
Voyons donc !
Ça a pas d'allure ce que ce gars-là t'a raconté, s'insurgea Gérard. King peut
pas faire ça! Il a promis aux dernières élections qu'il nous forcerait jamais à
aller nous battre de l'autre bord. Tous les députés de la province ont promis
de démissionner si jamais il faisait voter la conscription.
— C'est ben ce
que j'ai dit au gars. Il m'a répondu que, d'après son député, le premier
ministre a tous les Anglais du pays sur le dos. Il paraît qu'ils veulent
absolument aller se battre pour le roi d'Angleterre.
— Il peut pas
forcer les pères de famille à aller dans l'armée, intervint Laurette en faisant
signe à ses deux enfants de ranger leur matériel scolaire demeuré sur la table.
— D'après moi,
c'est ben ce qu'il veut faire, déclara Rosaire, l'air sombre. Les hommes pas
mariés sont déjà enrôlés depuis deux ans. Cette fois-là, on n'y échappera pas.
— Il peut pas nous
obliger ! s'écria Gérard avec colère. Godbout s'est fait élire en promettant
qu'on n'irait pas à la guerre, que ça nous regardait pas. C'est certain qu'il
va être contre.
— Je veux ben le
croire, mais toutes les autres provinces vont être pour.
— Pour moi, ton
secrétaire essayait juste de faire l'intéressant, Rosaire. Ça se peut pas,
reprit le père de famille.
— En tout cas, si
ça arrive, moi je disparais, affirma son beau-frère avec détermination. J'ai
pas l'intention d'aller me faire tuer ou estropier pour les beaux yeux des
Anglais. Je suis pas assez fou pour me ramasser dans l'armée.
Après le départ
du vendeur d'automobiles, Laurette, inquiète, ne put s'empêcher de demander à
son mari s'il était possible qu'il lui soit imposé d'aller se battre.
— Ben non.
Rosaire se conte des peurs, affirma ce dernier.
Mais Laurette
connaissait bien son mari et le manque total de conviction qu'il affichait
augmenta son angoisse.
Trois jours plus
tard, le premier ministre du pays annonça à la radio qu'il devait céder aux
pressions d'un grand nombre de Canadiens désireux de voir leur pays participer
plus activement à la défense du monde libre. Par conséquent, il se voyait
obligé de décréter un plébiscite national le 27 avril suivant pour le dégager ou
non de sa promesse de ne pas imposer la conscription dans le pays.
Au Québec, la
déclaration de Mackenzie King fit l'effet d'un coup de canon. Des ténors de la
politique s'élevèrent partout contre cette trahison et crièrent bien haut leur
volonté se s'y opposer de toutes leurs forces. Les «Je vous l'avais bien dit»
de Maurice Duplessis parurent passablement timides devant le tollé de
protestations soulevé par cette décision gouvernementale. La Ligue de la
défense du Canada s'organisa pour protéger les Canadiens français. Le sénateur
Maxime Raymond ainsi qu'André Laurendeau devinrent rapidement les plus ardents
défenseurs des droits de ces derniers.
Pendant les
quelques semaines qui suivirent, Laurette fut autant à l'affût des nouvelles
que son mari. La radio et les journaux ne cessaient de communiquer des
informations tant sur la guerre qui se déroulait en Europe que sur
les débats
entourant le plébiscite et la conscription au Canada. Armand et Bernard, aussi
concernés que Gérard, vinrent rendre visite aux Morin à plusieurs reprises avec
leur épouse. Tout le monde était nerveux et constamment sur le qui-vive.
— C'est sûr que
ça passera jamais au Québec, déclarait Gérard à ses jeunes beaux-frères. Nous
autres, les Canadiens français, on n'a rien à voir dans leur maudite guerre. .
L'hiver prit fin
sans qu'on s'en rende trop compte tant la tension était devenue palpable.
Pourtant, la neige fondit rapidement, mettant à nu les déchets qu'elle avait
dissimulés durant plusieurs mois aux yeux des gens du quartier. Le soleil se
coucha de plus en plus tard et les journées se réchauffèrent progressivement.
Peu à peu, les
ménagères se remirent à étendre leur linge à l'extérieur. Durant le carême, la
retraite annuelle, autant celle des hommes que celle des femmes, fut fréquentée
par un nombre record de fidèles. Les cérémonies de la semaine sainte furent
suivies avec une ferveur peu commune. On aurait dit que chacun avait des
demandes spéciales à adresser à Dieu.
Le 27 avril finit
tout de même par arriver. Comme les analystes l'avaient prévu, le vote
anglophone des autres provinces fut
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