Des rêves plein la tête

par la jeune mère
de famille furent réduits à néant. Elle venait à peine de se verser une tasse
de thé qu'elle entendit l'un de ses garçons pleurer dans sa chambre.
     
    — Bon. Qui est-ce
qui est déjà réveillé ? demanda-t-elle avec mauvaise humeur à Gérard en
déposant dans le cendrier la cigarette qu'elle s'apprêtait à allumer. S'il
arrête pas de pleurer, il va finir par réveiller la petite.
     
    Laurette se
rendit rapidement dans la chambre double située en face de la sienne et elle en
revint en portant
     
    Gilles dans ses
bras. Les yeux fermés, le petit garçon geignait et son nez coulait.
     
    — Bonyeu, dis-moi
pas qu'on va être poignés comme aux fêtes l'année passée, quand les enfants ont
tous eu la grippe les uns après les autres ! s'exclama-t-elle, dépitée. Il
manquait plus que ça !
     
    Elle déposa
Gilles sur les genoux de son père avant de poser une main sur le front de
l'enfant.
     
    — Il fait de la
fièvre, annonça-t-elle en soulevant le vêtement de nuit du petit garçon. .
     
    — Ça y est ! Il
est plein de boutons. Pour moi, c'est la rougeole. C'est pareil à ce que Jean-Louis
a attrapé au commencement du printemps. J'espère juste qu'il l'a pas donnée aux
autres, ajouta-t-elle.
     
    L'enfant eut
alors une toux sèche qui sembla lui faire mal à la gorge. Éberlué, il se frotta
les yeux et geignit de plus belle.
     
    — Bon. J'ai pas
le choix. Je vais faire ce que le docteur Miron m'avait dit de faire pour
Jean-Louis. Je vais lui donner du sirop et le recoucher.
     
    Avant même que
Gérard ne soit rentré dans l'appartement après avoir dégagé la porte d'entrée
et le balcon arrière, Laurette avait découvert que Richard souffrait, lui
aussi, de la même maladie que son frère.
     
    — Richard l'a
attrapé lui aussi, annonça-t-elle à son mari qui avait entrepris de se préparer
à aller à la messe. Il est couvert de boutons, mais ça a pas l'air de le
piquer. Tous les boutons sont sortis.
     
    — Bon, je suppose
qu'on a juste a attendre que ça passe, dit son mari, résigné.
     
    — C'est le fun,
se plaignit Laurette malheureuse, on va encore être enfermés dans la maison aux
fêtes à cause des enfants. Maudit verrat! On dirait qu'ils font exprès de
poigner tout ce qui passe dans ce temps-là de l'année. On
     
    pourra même pas
aller faire un tour chez ma mère aujourd'hui parce qu'on risque de rencontrer
la petite d'Armand et de Pauline. Il manquerait plus que leur Louise poigne la
rougeole à cause de nous autres.
     
    Depuis qu'elle
avait découvert la maladie de ses deux fils, la mère de famille était persuadée
que le sort s'acharnait sur elle à l'époque des fêtes de fin d'année. Pourtant,
elle ne demandait pas la lune. Quand pourrait-elle enfin jouir d'un peu de bon
temps en cette période de réjouissances ?
     
    Chapitre 23
     
    La conscription
     
    Un mois et demi
plus tard, Laurette eut des raisons beaucoup plus sérieuses de s'alarmer.
     
    Lors d'une
tranquille soirée de semaine, elle finissait de faire réviser leurs leçons à
Denise et à Jean-Louis quand un brusque coup de sonnette la fit sursauter.
Gérard abandonna son journal sur sa chaise berçante et alla ouvrir. Il revint
dans la cuisine suivi par un Rosaire Nadeau toujours aussi rondelet et fumant
le cigare.
     
    — Ouach! Mais ça
sent donc ben mauvais ce que tu fumes là ! s'écria sa belle-sœur en s'éventant
de la main.
     
    — Viens pas me
dire ça, fit son beau-frère en feignant d'être outragé par sa remarque. C'est
un Peg Top.
     
    — Depuis quand tu
fumes cette sorte de cigare-là ? demanda-t-elle en fronçant le nez.
     
    — Trois mois, dit
le vendeur d'automobiles en tendant son manteau à Gérard. Il paraît que c'est
la meilleure sorte, si je me fie à ce que dit mon boss.
     
    — Qu'est-ce que
t'as fait de Colombe ? Elle est pas avec toi ? lui demanda sa belle-sœur.
     
    — Non. Je fais
juste m'arrêter en revenant de l'ouvrage parce que j'ai appris quelque chose de
pas mal important.
     
    — Qu'est-ce que
c'est? demanda Gérard, intrigué par le ton un peu solennel pris par son jeune
beau-frère.
     
    — Je viens de
vendre un char au secrétaire d'un député, dit Rosaire en baissant
involontairement la voix. Tu sais pas ce qu'il m'a dit ?
     
    — Non.
     
    — Il m'a dit que
King allait annoncer cette semaine qu'il allait organiser un plébiscite dans
tout le pays pour voir si les Canadiens veulent la conscription ou non.
     
    —